Nadir, 47 ans, animateur de «la pêche au sac» @ Foire du Trône

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Ah ! Les fêtes foraines et leur ambiance… Toute une histoire ! C’est typiquement le genre d’endroit qui me répugne et la foire du Trône de Paris n’échappe pas à la règle, voire peut être même encore plus que les autres. En journée, en plein été, c’est glauquissime à souhait. Quasiment pas un chat, on ne peut pas faire un pas sans sentir le regard lourd des forains qui vous regardent passer ou subir les assauts de mineurs en ruts, probablement plus excités que jamais après des sensations fortes leur laissant l’impression d’être les rois du monde. Un monde parallèle où tout est cheap et grossier : les manèges, la nourriture, les gens,… Dans ma ville d’origine, à Rouen, nous avons la même chaque année, à l’exception près que c’est en automne, qu’il pleut tous les jours, que les quais de Seine sont très mal entretenus et que la parcourir se transforme en parcours du combattant pour éviter les trous remplis de flotte. Les fêtes foraines, je les déteste mais en même temps, je ne peux pas m’empêcher d’être nostalgique. Mes premiers petits boulots payés au lance pierre, sans contrat bien sûr (bah oui on ne fait pas de contrat à des mineurs de 15 ans) et traitée comme de la viande avariée par les propriétaires. Une année, j’étais au kebab avec la magnifique odeur sur mes vêtements qui hantent encore mes narines, la suivante au chichis et crêpes aux conditions sanitaires plus que limites et la dernière, je me suis élevée au rang de baby-sitter où les gamins ne souhaitaient pas faire autre chose que regarder Dora l’exploratrice en boucle la journée entière…

Je m’égare mais en me remémorant la façon dont la tenancière de «la pêche au sac» parlait à Nadir, je ne peux pas m’empêcher de tout voir en négatif. Nadir est donc employé dans cette activité où «on ne peut pas perdre». Il y a toujours un cadeau à la clé et c’est bien ce qui lui plaît ici contrairement à d’autres stands où on peut vite se faire «dépouiller» et ne rien gagner «ce jeu, les gens savent tout de suite. Ailleurs, certains dépensent 50 euros alors qu’ils vont perdre et ils vont tous là bas. Ici, il faut attendre qu’il y est une première personne et après les autres personnes, ils vont venir et ensuite ils vont dire ‘ah il est sympa ce jeu’». Ce qui le met en rogne, c’est justement qand il entend les gens passer et dire ‘c’est de l’arnaque’, pour lui, c’est tout le contraire «il y a des clients, qui balancent des mots sans savoir ce qu’est le jeu, sans se renseigner, après ça reste et ça me pourrit ma journée». Et quand les personnes n’aiment pas le cadeau qui se trouve dans leur pochette «surprise», Nadir leur propose toujours de l’échanger contre un gros ballon ou un gros nounours «si je dois arnaquer les gens je n’accepte pas de travailler» me dit-il très sérieusement. Malheureusement, j’ai bien peur que Nadir n’ait pas tant le choix que ça de ne pas travailler. Je comprends au travers de son discours qu’il est dans une situation très précaire et les difficultés de la vie se lisent sur son visage malgré un sourire constant.

Nadir est originaire d’Algérie, il est arrivé en France il y a une dizaine d’années environ et a toujours vécu en grande banlieue parisienne depuis. Le français il l’a appris sur le tas, avant d’arriver il ne parlait pas un mot. Cela fait plusieurs années qu’il travaille à la foire tous les ans sauf l’année dernière où il a été très malade et dans l’incapacité de travailler. Alors le «travailler plus pour gagner plus» de Nicolas Sarkozy, il lui reste en travers de la gorge car c’est justement un excès de travail qui l’a rendu malade «on ne vit pas comme on veut aujourd’hui, il y a trop de galères, par exemple, on travaille beaucoup, on souffre et finalement tout ça pour pas grand-chose, c’est l’inverse de ce que Nicolas Sarkozy nous a dit, on travaille plus, on souffre plus et du jour au lendemain, la santé n’est plus et tout ce qu’on gagne de plus, on le dépense dans la santé, quelqu’un qui travaille de 14h et rentre à 3h du mat, on ne profite de rien, et c’est valable aussi en dehors de la foire». Son rêve s’il gagne au loto «vivre simplement et normalement», tout est dit. Il pourrait avoir de grandes envies mais non, lui, c’est uniquement vivre simplement et normalement, ce qui n’est définitivement pas le cas à l’heure actuelle. Trêve de choses qui fâchent, Nadir n’aime pas trop parler de ce genre de choses, mieux vaut se focaliser sur le positif comme par exemple Paris, la beauté de la ville, les soirées sur les quais de Seine à jouer de la guitare et partager ce moment avec qui veut bien… Fin de la discussion, nous n’en saurons pas plus, la patronne s’impatiente, Nadir doit aller lui chercher son sandwich.

Manuela, 72 ans, chanteuse chez Louisette @ Marché aux puces de St-Ouen

Bienvenue chez Louisette, bar-restaurant mythique pour sa qualité d’ancien «boui-boui des bas fonds», niché au coeur des puces. Quand on passe devant, on ne peut pas s’empêcher d’y jeter un oeil attiré par des mélodies qui sentent bon le Paris d’autrefois. Bon nombre de personnages célèbres y sont passés : Gainsbourg, Simone Signoret, Sharon Stone,… et même Madonna «elle est belle ! Elle avait une robe magnifique, elle m’a dit ‘Manuela je vous adore, qu’est ce que vous chantez bien!’. Vraiment gentille et puis pas du tout prétentieuse». Si même Madonna n’a pas oublié de laisser un petit mot gentil à Manuela, c’est bien parce que ce petit bout de femme est une institution là-bas !

Décorée il y a deux ans ‘Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres’ par le ministre de la culture et de la communication de l’époque, Frédéric Mitterrand, Manuela chante inlassablement depuis plus de 40 ans le répertoire d’Edith Piaf. Des fois, les touristes de passage la prennent pour Louisette, ça l’énerve un peu mais elle ne montre rien, elle se contente de sourire et ne dit jamais non à une photo «quand c’est plein ici, je suis fusillée de photos, même dans la rue, les gens me disent ‘arrêtez-vous! on veut vous prendre en photo’, ça ne me gêne pas, je le fais. Je garde mon sang froid, je suis toujours agréable avec tout le monde».

Son vrai petit nom c’est Raymonde, comme sa mère, mais «disons que ça ne sonnait pas pour le chant», alors Raymonde est devenue Manuela «c’est rapport à Julio Iglesias quand il chantait ‘Manuela’». Un ‘nom de scène’ qui correspondait mieux à son physique de midinette. Et oui ! Car même si Manuela est aujourd’hui une bien jolie grand mère (et même arrière grand-mère – six fois!), elle a surtout été une magnifique femme «moi ici j’étais la belle petite poupée du quartier, tout le monde me faisait la cour, c’est vrai, je dis ça sans être prétentieuse, avant j’avais de grands cheveux longs qui m’arrivaient jusqu’aux fesses, et puis d’une petite taille avec de grands talons de 12,5 cm, ça m’allait bien!».

Depuis son arrivée à 17 ans à Paris pour devenir chanteuse, Manuela en a accumulé des souvenirs ici et ailleurs… Certes sa carrière s’est principalement faite chez Louisette, mais cela ne l’a pas empêchée de voyager, d’accepter des contrats à l’étranger : sur les bateaux en Egypte, des tournées en Europe, en Chine pour les diamantaires, aux Etats-Unis à Los Angeles pendant un an,… Aujourd’hui retraitée, elle ne se voyait pas arrêter, alors elle continue de chanter chez Louisette, pour entretenir sa voix, pratiquement tous les weekends «sauf quand j’ai des choses à faire, à côté j’ai quand même mon homme, ma maison à m’occuper, j’ai ma chienne, et puis on est invité aussi, on est toujours pris et il faut que je me repose quand même». Une vie aujourd’hui un peu moins glamour, c’est sûr, mais «tranquille» et cela ne lui déplaît pas le moins du monde.

Manuela est originaire d’Indre-et-Loire, née dans une famille (très) nombreuse – 10 enfants mais ils auraient du être 19 !!!! «ma mère s’est marié elle avait 15 ans, vous verriez le livret de famille, on se suit tous». Elle n’a finalement que très peu connu ses parents décédés jeunes (36 ans pour son père et 40 ans pour sa mère) mais garde pour eux une admiration sans bornes. Son père lui a transmis la valeur du travail «il ne faut pas être feignant, toujours travailler même si on ne fait pas d’études, et tous mes enfants travaillent et même les petits enfants. C’est un bonheur car ils ont écouté ce que je leur ai dit : ‘il faut travailler, n’importe quoi mais travailler’». Quant à sa mère, c’est elle qui lui a transmis sa passion pour le chant et son goût pour la coquetterie «maman était plus grande que moi, très brune, très classe, mais vous savez le classe ça ne s’apprend pas. Elle chantait fort bien, elle avait une très belle voix, moi j’avais envie de chanter. Je chantais dans le grenier et j’avais des rêves de petites filles, je voulais être belle comme Lollobrigida».

Voilà, ses rêves de petite fille, de jeune fille, de femme, elle les a finalement atteints à force de travail et de persévérance. La vie ne l’a pas toujours gâtée mais c’est avec fierté qu’elle regarde dans son passé et toujours avec la même force qu’elle aborde chaque jour de sa vie avec optimisme «vous savez moi je peux aussi être triste demain mais je ne le ferais pas voir, c’est une force en soit, il faut se battre, si on se lève le matin et que l’on est positif, on fait une belle journée. Le cerveau c’est un ordinateur, il faut penser le soir à ce qu’on veut faire le lendemain et on le fera, il faut avoir foi en soi et ne pas s’occuper des gens qui sont néfastes».