Rémi, 56 ans, Mouton Duvernet

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Cela faisait bien longtemps que je n’avais plus écrit. La vie « réelle » ayant repris le dessus. Les œillères avant tout. Je ne vais pas m’en plaindre je crois même avoir été heureuse. Et cette réalité m’a menée à ce gaillard. Regardez-le bien. C’est lui mais ce n’est pas lui. Et il ne sera plus bientôt. Cet homme c’est Rémi.

Nous voilà dans le 14ème. Dans cet appartement que nous avons partagé, rue Mouton Duvernet. Rémi pose pour moi. Il a l’air sérieux alors qu’il ne l’a jamais été, je pensais avoir raté ma photo, je n’avais pas su le capturer. Lui qui n’est que sourire et rire. Aujourd’hui, je le regarde et je ne peux regretter cette photo, celle d’avant la tempête. Il me montrait juste ce qui nous attendait empreint de calme et dignité.

Il y a des personnes qui vous marquent pour une vie, lui en fait partie, le type de rencontre qui vous donne goût à la vie, de celles où on se dit « j’ai de la chance de le connaître », qui vous font sourire rien qu’en évoquant leur nom. Où jamais au grand jamais, une seule pensée négative ne pourrait survenir à leur sujet. Mais attention, ne nous trompons pas il n’a rien d’une personne fade, bien au contraire.

C’est un chat, plusieurs vies en une. Jeune héritier, un peu flambeur puis ruiné « mais je ne regrette rien, je me suis tellement amusé » m’avait-il dit un jour. Plusieurs métiers – journaliste, musicien, écrivain et finalement réparateur de mac, ça l’éclatait de résoudre des problèmes. Des femmes aussi, trois exactement, chacune 10 ans. Je me souviens de son petit sourire en coin lorsqu’elles devaient se retrouver toutes les trois réunies pour le mariage de son fils, un sourire entre anxiété et satisfaction, petit lion au milieu de ses donzelles…

Pour moi c’est un chat même si lui se défini comme un tamanoir. Oui, un tamanoir ?!? Le pourquoi, j’ai oublié, il m’avait donné une explication rationnelle derrière tout ça mais je le soupçonne de n’avoir choisi cet animal – relativement affreux et difforme – que pour le plaisir de se démarquer par un animal auquel personne ne pourrait penser. Il a même été jusqu’à parrainer le tamanoir de zoo de Vincennes mais franchement qui aurait pu penser à faire ça ? On aurait dit un gosse exhibant fièrement le certificat de parrainage de son petit protégé. Ça m’a toujours troublée mais surtout attendrie à quel point certains hommes – jeunes ou moins jeunes – ont cette capacité de passer d’un état de virilité absolue à celui de petit garçon. Lui avait ce don et bien d’autres.

Je crois que ce que j’ai le plus admiré chez lui, c’est son goût pour la vie, sa capacité à aimer, à écouter, et cette envie de continuer à apprendre des autres, peu importe leur âge, origine sociale ou sexe.

La première fois qu’on s’est rencontrés, aïe aïe mon dieu que je n’étais pas sereine d’arriver dans cet appart. Je revenais à Paris, il me fallait un truc, j’avais vu l’annonce sur le bon coin, l’appart sympa, pas cher, idéalement situé à quelques stations de métro du boulot, et de toute façon c’était censé être temporaire, parfait. Mais lui de ce que j’en savais, l’âge d’être mon père ! J’oscillais entre la peur de faire face à un vieux con ou d’un violeur. En cinq minutes, il a effacé toute appréhension de ma part. On a discuté de tout et de rien, c’était simple, c’était naturel, c’était agréable. Le temporaire est devenu permanent et la discussion a continué pendant presque deux ans.

La seule fois où je l’ai vu triste c’était sa rupture entamée avec Anaïs – Nana, petit bout de femme aussi attendrissante qu’intrigante. Allez savoir pourquoi, prise d’un délire mystique j’ai été mettre un cierge à la Madeleine – 24h plus tard, l’amante distante est devenue amoureuse éprise. Il y a eu quelque chose de magique entre eux deux dans les semaines qui ont suivi et jusqu’à aujourd’hui.

Autant dire que j’ai retenté l’expérience pour moi – maintes fois – des petites églises, des grandes, des cathédrales, à Paris, en province et même à l’étranger – divers continents inclus, j’ai entretenu à moi seule une bonne année de catholicisme… sans succès, aucun. Je suis retournée à la Madeleine, j’ai insulté Marie.

Mais surtout toi, Rémi pendant tout ce temps-là, à chaque fois que mes larmes ont trop coulé pour un garçon, je te voyais revenir à la maison avec un énorme bouquet de fleur. Je pensais t’avoir encore longtemps à mes côtés, partager à nouveau des diners avec toi, Anaïs, tes enfants, faire des scrabbles le dimanche après-midi, parler du dernier film que l’on avait vu, arriver en pleurant, en riant, et parfois en hurlant, me laisser porter par ta sagesse, me laisser surprendre par tes histoires… Ces larmes aujourd’hui pour toi, si tu es loin comment peux-tu les calmer ?

Je t’envoie tous les miaous du monde.

 

Mickaël, 23 ans, agent de sécurité @ Palais Brogniart

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Après un parcours scolaire un peu difficile, Mickaël a décidé de se lancer dans une formation agent de sécurité. Pour ses lieux de formation et de travail, il n’y a pas à dire, il aurait pu mal tombé mais non, c’est d’abord au château de Fontainebleau qu’il a atterri pour finir à ce magnifique bâtiment qu’est le Palais Brogniart, anciennement la Bourse de Paris. Ce qui lui plaît en travaillant ici, c’est l’ambiance qui existe avec les collègues mais surtout l’histoire du lieu «en fait ce que j’aime c’est tout ce qui touche à Napoléon. J’ai fait des recherches quand j’ai su que j’allais être muter ici et quand j’ai vu que c’était Napoléon qui l’avait construit, ça m’a plu. J’ai appris à connaître les salles avec mes supérieurs, ils m’ont raconté une petite partie du palais et je me suis enrichi ensuite en lisant les descriptions dans les salles». En parcourant le palais, des vestiges de cet ancien temps subsiste comme l’espace Corbeille, qui est une reconstitution des cotations à la criée comprenant le tableau noir des cotations, une cloche, des boxs et la célèbre corbeille au centre, cendrier géant rempli de sable d’un mètre de hauteur.  Aujourd’hui, le Palais sert surtout à des évènements mais il accueille aussi l’école en informatique de Xavier Niel dans les étages supérieurs.

La plupart du temps, c’est assez calme mais parfois on peut assister à des scènes assez dramatiques comme des tentatives de suicide pour la symbolique du lieu comme repère du capitalisme. A part cela, les autres urgences à gérer c’est des chevilles cassées ou des malaises auxquels les agents sont formés pour intervenir rapidement en attendant les secours. C’est le genre d’incidents qui arrivent principalement lorsque des soirées sont organisées et que le bar est un peu trop généreux avec ses invités… C’est un poste qui implique au final beaucoup de responsabilités et Mickaël en a bien conscience, en cas de gros problème, c’est la prison qu’il risque «à la moindre bavure c’est la prison, c’est juste pour dire l’importance de notre métier. Si on ne voit pas quelqu’un, c’est de notre faute et s’il détériore quelque part c’est aussi de notre faute. On doit vraiment voir tout ce qu’il se passe». Si ça «bip», même si la plupart du temps ce sont des fausses alertes (un pigeon, un phare de voiture,…), pas question de ne pas regarder.

Mickaël habite à Melun avec ses parents, finalement il ne vient à Paris que pour le travail et quelques virées shopping sur les champs Elysées ou à Châtelet. Il connaît assez mal la ville mais ne semble pas vouloir en connaître d’avantage, pour lui, il y a les quartiers chics qu’il apprécie et les «bidonvilles» comme le quartier de Belleville… Habiter sur Paris, ça ne lui vient même pas à l’esprit ; y travailler, c’est amplement suffisant pour lui. Entre autre, ce qu’il a en horreur, c’est de prendre les transports en commun en heure de pointe ; il préfère partir deux heures en avance pour éviter l’affluence que de se retrouver dans un train bondé. Heureusement pour lui, son travail avec ses horaires décalés, lui permet la plupart du temps de les éviter, mais malheureusement il ne peut pas échapper aux grèves.

De toute façon, pour lui sa vie à Paris (enfin Melun), c’est du temporaire. Il rêve de descendre dans le Sud du côté de Perpignan, là où il y a du soleil, la mer et où les gens sont aimables, à comprendre pas comme les parisiens «tout ce qui est alentour de Perpignan, c’est magnifique, c’est la tranquillité, le respect des gens, ici on te bouscule, on ne te dit même pas pardon!». Tout ça, c’est pour bientôt assurément, dès qu’il aura mis suffisamment d’argent de côté, histoire d’avoir un bon apport pour acheter un appartement et s’installer définitivement là-bas.

En attendant, la vie près de Paris ne lui déplaît pas non plus, il a surtout envie de se faire une bonne expérience professionnelle d’abord et puis le hic, c’est que Mickaël est un peu dépensier, notamment pour sa passion qui est la pêche. Sa première canne, il a tenu à l’âge de deux ans et de 14 ans à 18 ans, il a même fait parti de l’équipe de France à parcourir les quatre coins du pays pour des concours. Les vers de terre, l’aspect gluant des poissons, aucun problème pour lui ! Et, c’est avec un regard amusé et un peu moqueur qu’il m’apprend que l’amorce que j’avais tenu dans mes mains, à peine une semaine auparavant lors de ma première initiation à la pêche, et dont j’avais trouvé l’odeur particulièrement agréable (et à deux doigts d’y goûter), n’était autre qu’une composition probablement à base de fiente de pigeon. Ville : 1 ; campagne : 0.

1er Arrondissement

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Le Louvre – Jardin des Tuileries

Un peu de culture pour commencer : l’incontournable musée du Louvre. En arrivant par la station Louvre-Rivoli, en ressortant sur la rue on arrive directement à l’intérieur de la première cours. De là, on admire l’architecture du bâtiment et on entrevoit la pyramide du Louvre que l’on peut rejoindre. Sujet à polémique il y a près 20 ans de cela, elle est aujourd’hui parfaitement intégrée et acceptée, de jour comme de nuit, sa structure en verre et métal bordée par l’eau est particulièrement inspirante d’un point de vue photographique. Je ne saurais dire si l’accès au musée par l’extérieur est plus rapide mais en tout cas, il est bien plus intéressant pour patienter, sur 360° il y a matière à observer entre les touristes, l’arc et bien entendu la grande place. Une fois à l’intérieur du Musée, si on veut tout voir, il vaut mieux prévoir la journée, et le risque est de ressortir dégouté des Musées ; mais on peut aussi sélectionner les parties qui nous intéressent (antiquités égyptiennes, arts de l’Islam, sculptures, mobilier royal,…) sans pour autant virer touristes de base qui ne rentre que pour voir la Joconde à en juger par la désertion de nombreuses parties du musée qui contraste avec la horde de personnes à l’approche de la dame la plus célèbre au monde. Et en plus, comme de nombreux musées et monuments de Paris, il n’y a plus d’excuses pour ne pas y mettre les pieds entre les nocturnes le mercredi et vendredi et l’accès gratuit tous les premiers dimanches du mois, sans compter que quand on a moins de 25 ans c’est tout le temps gratuit alors là, ce serait même une honte de ne pas en profiter !

Pas loin de là, si on a encore la foi ou bien pour un autre jour, il y a le musée des arts décoratifs (un de mes chouchous) qui retracent l’histoire du mobilier de l’époque royale à nos jours mais aussi une partie consacrée à la mode et une autre à la publicité. Par ailleurs, il y a tout le temps des expositions temporaires de qualité.

Fin des musées et un peu d’air frais ! Juste en face de l’entrée du musée des arts déco, on trouve la rue de l’échelle, perpendiculaire à la rue de Rivoli, petite halte au Starbucks, coffee to go et pâtisserie en main, demi tour gauche et direction le jardin des Tuileries. Là bas on sélectionne le bassin qui nous inspire, on trouve deux chaises, on étend ses pieds et on regarde les petits canards qui se baladent sur l’eau ou les pelouses. En se promenant dans le jardin, avec de la chance on peut même croiser la chèvre tondeuse broutant les espaces inaccessibles aux tondeuses motorisées. Tout au bout le Jeu de Paume (à droite), pour les amateurs de photographies et le musée de l’Orangerie (à droite) pour les aficionados de peintres impressionnistes. On aperçoit l’Obélisque, place de la concorde du jardin des Tuileries, mais là c’est un autre arrondissement, j’y reviendrais plus tard.

Les quelques images c’est par Ici !

Place Vendôme – Palais Royal

Retour rue de Rivoli et ses innombrables boutiques pour touristes (aux articles au combien originaux!). Finalement, à gauche rue de Castiglione, tout droit : un peu de lèche vitrine façon milliardaire place Vendôme. Pour moi, rien de fascinant à voir, une place à peine jolie et un monde de toute façon inaccessible au commun des mortels et franchement, je n’ai pas très envie de dépenser les dix mille euros (que je n’ai pas de toute manière) dans un bijou ou autre chose de luxe. Allez hop, place Vendôme : check !

Tout droit, prochaine rue sur la droite, rue Danielle Casanova qui se transforme en rue des Petits Champs, à l’intersection avec l’avenue de l’Opéra. Encore un peu de marche et sur la droite, Palais Royal. Je conseille de prendre à droite rue de Richelieu et sur la gauche, il y a un tout petit passage assez pittoresque qui mène au théâtre du Palais Royal. Ensuite c’est assez facile pour trouver l’entrée du Palais Royoal. Après le brouhaha de la rue, le calme qui y règne à l’intérieur est salvateur qu’on le traverse en plein milieu par le parc ou par ses galeries dont les jeux d’ombres et boutiques donnent une atmosphère particulière à ce lieu. Au bout du bout, on tombe sur la cours d’honneur et les fameuses colonnes de Buren, ces choses qui se dressent rayées noires et blanches de différentes hauteurs. Comme dans une aire de jeu, on peut grimper dessus ou regarder les gosses de passages le faire.

On peut ressortir par la galerie de Chartres sur la droite quand on est dos à Palais Royal et on tombe sur la rue St-Honoré. On peut la prendre sur la gauche, puis tout droit, et quatrième gauche, on arrive rue Jean Jacques Rousseau. Quelques boutiques sympathiques pour rêver devant leurs vitrines et surtout pour vous Mesdames, Monsieur Louboutin à votre disposition, comme il n’y a pas beaucoup de passage, on peut prendre son temps pour observer ces petites choses hors de prix, à la semelle rouge qui fait sensation mais impossible à porter au quotidien si on ne veut pas terminer aux urgences la cheville en vrac ; donc à l’exception d’avoir un chauffeur personnel c’est juste joli pour sa curiosité.

Les photos de Palais Royal c’est Ici !

A regarder des choses inaccessibles et à être au milieu de ces bâtiments majestueux, ça ne donne plus qu’une envie, acheter des choses accessibles ! Et ça tombe bien, bienvenue à Châtelet-les Halles.

Parcours Châtelet – les Halles – Rue de Rivoli 

Pour rejoindre ce temple de la consommation, je vous conseille de finir la rue Jean Jacques Rousseau, sur la droite on arrive rue du Louvre, direction gauche et première à droite, rue Coquillière d’où on aperçoit cette enseigne mythique au nom rêveur «Au Pied de Cochon» dont le slogan est «Au Pied de Cochon, on s’y sent comme à la maison», tout un programme et toute une histoire. Sur la gauche, en face de l’église Saint-Eustache (que je trouve assez jolie par ailleurs), on retrouve la rue du jour. Pour les filles un peu manuelles, il y a une bonne adresse qui s’appelle La Droguerie et où on y trouve divers tissus, laines et surtout des milliers d’accessoires et idées pour fabriquer ses propres bijoux.

Sinon on peut continuer tout droit, rue de Rambuteau jusqu’à trouver une entrée pour le Forum des Halles en pleine rénovation. Le forum des Halles, selon ma propre opinion, c’est un peu une verrue dans ce paysage aujourd’hui. J’aurais tellement aimé connaître les Halles à l’époque de Doisneau, les pavillons Baltard, les forts… Allez, pas de nostalgie ! Avis aux personnes qui souffrent d’ochlophobie, ne surtout pas rentrer à l’intérieur, et plus particulièrement au moment des soldes. Le nombre de magasins sur plusieurs étages, le tout en sous-sol avec pour seule lumière des néons, dans un lieu qui peut s’apparenter à un labyrinthe avec une faune pas toujours bien attentionnée, rend ce lieu (selon moi encore une fois) particulièrement désagréable. Mais pour du shopping et retrouver toutes les grandes enseignes possibles et inimaginables, cela fait l’affaire. Et puis si jamais une envie de barboter dans l’eau vous prend, direction la piscine. Oui, oui, il y a une piscine à l’intérieur des Halles (…?). Voilà pour le forum des Halles où on peut y passer des heures comme cinq minutes à condition de retrouver la sortie.

Le mieux c’est d’arpenter les différentes rues piétonnes qui regorgent de magasins plus ou moins cheaps, quelques salons de tatouages-piercings (retrouver l’interview de Brigitte, tatoueuse  Ici), de restaurants, bars, et aussi quelques sex shop (rue St-Denis). Les personnes que l’on y croise sont assez hétéroclites en termes de styles vestimentaires ; et puis les espaces uniquement piétons, étant tout de même rares dans Paris, c’est toujours agréable d’en profiter. Bref, il y a de quoi s’occuper de jour comme de nuit. En parlant de Paris la nuit, il y a notamment le Duc des Lombards qui est un club de Jazz réputé pour ses programmations.

Si vous êtes perdus et souhaitez faire du shopping à l’air libre, le mieux c’est de rejoindre la rue de Rivoli, plus vers la Seine. On y retrouve sur plusieurs centaines de mètres les grandes enseignes nationales. Et sur la rue de Rivoli, il y a l’un des squat artistiques parmi les plus connus de la capitale dont l’adresse n’est autre que le nom 59Rivoli.

Les photos de Châtelet-Les Halles, c’est Ici !

Quai de la mégisserie – Pont Neuf

Un peu plus loin, direction Sud, bord de Seine, on retrouve le quai de la mégisserie à quelques rues en parallèle de la rue de Rivoli. Ce quai est assez intéressant, côté Seine, on y retrouve quelques bouquinistes , pour la plupart passionnés par leurs métiers (retrouvez l’Interview de Thierry, bouquiniste Ici); et de l’autre côté, c’est un défilé de magasins de fleurs et plantes entrecoupés par des magasins d’animaux. Chiens, chats, poissons, oiseaux, lapins, rats, souris, lézards et autres animaux se côtoient. L’odeur à l’intérieur de certains magasins est particulièrement atroce et le prix de ces petites bêtes donnent parfois quelques vertiges ; mais c’est une ambiance particulière et cela pourra donner à certains des envies de repartir avec l’une de ces petites choses sous le bras.

Les photos Quai de la Mégisserie, c’est Ici !

Au bout du quai de la mégisserie, trône encore à droite l’enseigne de la Samaritaine, ce magnifique bâtiment arts déco fermé depuis plusieurs années à présent. Des rumeurs et projets semblent redonner vie à cette structure aux alentours de 2015, avec notamment la construction d’un grand hôtel et de logements sociaux… Dommage, il est déjà trop tard pour moi pour espérer obtenir un logement à cet endroit en plein Paris, il aurait fallut faire un demande à ma naissance. Pour revenir sur terre mais pas pour longtemps, direction à gauche le majestueux Pont Neuf, qui ne fait pas honneur à son nom puisqu’il est en réalité le plus ancien pont de Paris. Au milieu du pont, sur l’île de la Cité, on retrouve la statue équestre d’Henri IV. En descendant par les marches, il y a un petit square adorable qui se termine par une pointe où de nombreux amoureux y trouvent refuge depuis des lustres. Il faut dire que la vue sur le Ponts des arts et ses cadenas est plutôt inspirante.

Avant de repartir, à nouveau un peu de tourisme en prenant un bateau mouche. Il existe plusieurs compagnies qui proposent différentes formules de la petite croisière d’une heure à des dîners croisière. Là, juste à côté du Pont Neuf, on y retrouve les vedettes de Paris qui propose une croisière pour une dizaine d’euros. Un bon moyen de voir les différents monuments de Paris les fesses assises (de jour ou de nuit) et pour pas cher au final. Et puis des parisiens sur les quais de Seine ou des touristes sur les bateaux, je n’ai jamais réussi à savoir lesquels de ces deux spécimens se sentait le plus au zoo. Sinon dans un autre genre, j’ai testé la croisière techno. Une fois (et encore) mais certainement pas deux ! Sauf si vous avez 15 ans et que c’est le seul moyen pour vous de rentrer en boite…

Paris est-elle vraiment la ville de l’amour ?

Paris est sans aucun doute la ville de prédilection pour tous les amoureux. Des lieux sublimes qu’il fasse beau, qu’il pleuve ou sous la neige, de jour comme de nuit, à pied, en voiture ou en Vélib’. Ainsi on se retrouve en été à s’enlacer dans les parcs et en hiver à déguster un chocolat chaud dans un des bars de St-Germain. Les idées de ballades et sorties romantiques ne manquent pas et s’embrasser goulûment dans le métro, en pleine rue, ou à la terrasse d’un café ne choquera pas le passant, loin de là, qui ne saura qu’apprécier ce moment rompant avec la froideur des autres passants et fera remonter en lui des souvenirs ou envies d’embrassades passionnées. À Paris, on aime et on n’hésite pas à le montrer.

Pour trouver cet(te) amoureux(se), ce n’est pas le choix qui manque. Quand on arrive à Paris, on assiste au miracle de la multiplication des pains. Comment autant de belles personnes peuvent-elles être réunies dans un périmètre si restreint ? Il y en a pour tous les goûts et chaque rue amène son lot de nouvelles et bonnes surprises. C’est avec les yeux grands ouverts et un cœur d’artichaut que l’on papillonne, l’anonymat amenant par la même occasion à prendre des libertés. Alors, on fait des rencontres, bonnes ou mauvaises, des histoires se font et se défont. Chaque lieu de la capitale se mue en un souvenir s’enrobant tour à tour de nostalgie, tristesse, haine ou féerie  Un bar, un banc, un quai de gare, un quartier, une station de métro,… La ville devient le conte de nos histoires.

Rencontrer n’est donc pas le problème, l’histoire se corse ensuite, chaque étape de la relation étant vécue comme une montagne à franchir que beaucoup abandonne avant même que la question ne se pose. J’ai souvent entendu dire qu’à Paris, c’est bien plus compliqué qu’en province de s’engager dans une relation sérieuse. La première étape dans la formation d’un couple étant sans aucun doute de se voir, il y a là déjà le premier frein. Être parisien implique pour beaucoup un certain mode de vie où il faut sans arrêt être en mouvance. Entre le boulot passionnant mais prenant, les dizaines d’amis que l’on a pas vu depuis des mois faute de temps, la soirée hyper select qu’il ne faut surtout pas manquer, le yoga de la semaine et j’en passe, c’est à coup d’agenda que l’on se booke pour se voir.

Il faut prévoir et s’organiser mais a-t-on vraiment le temps et l’envie pour ça ? Le coup de cœur est là mais ne nous emballons pas trop vite. Montrer l’image d’une personne disponible ? Inconcevable. La spontanéité, l’émotion de la rencontre fait vite place à la rationalisation. Et nous voici déjà calculette en main à peser le pour et le contre, à comparer ce qui n’est pas comparable pour finalement aboutir à la conclusion que non, ce ne sera pas possible, pas l’envie, pas le temps. On tue l’oiseau dans l’œuf  Il y a des couples qui se forment tout de même à Paris, me direz-vous. Oui, c’est vrai. Ceux-là sont sans aucun doute des miraculés. La bonne personne, au bon endroit, au bon moment, une équation quasiment aussi rare que de tomber sur les bons chiffres du loto.

Alors à Paris peut être plus qu’ailleurs, on zappe. On passe d’une histoire à une autre le cœur presque léger, et puis si ça n’a pas marché, cela prouve bien que ce n’était pas la bonne personne, n’est-ce pas ? Probablement… Mais plus qu’une histoire de bonne personne, l’autre raison n’est-elle pas aussi que trop de choix, tuerait le choix ? Dans la quête perpétuelle d’un meilleur soi, on cherche le meilleur autre. Ce meilleur autre se cache bien quelque part, il suffit de chercher et d’attendre l’évidence. Mais comme dans un supermarché, il faut déjà définir ce que l’on vient y chercher si on ne veut pas finir avec un caddie rempli de choses inutiles. Et nous voilà de nouveau à rationaliser l’être idéal, la perle rare qui surpasse toutes les autres.

Shopping liste de la «perle rare» : une personne qui effectue tel type de job ou tel type – (et donc avec un revenu minimum de x K€ par an), idéalement plus de x ans mais pas plus de x ans, mesurant entre x et x cm, qui vivrait dans tel ou tel quartier (à savoir pas trop loin de mon lieu d’habitation, c’est une question pratique), si possible fumeur occasionnel, qui boit de l’alcool mais pas trop et surtout qui sait se tenir en toutes occasions, fréquentant tels endroits, avec des amis cools bien sûr et intégrés à la vie parisienne, de telle ou telle ou religion, autres religions non tolérées, et bien entendu rassemblant toutes les qualités humaines proche de la perfection, charme et charisme vivement conseillé, drôle, dotée d’intelligence et ayant de la répartie, s’intéressant à la culture et aux voyages, qui sait fournir de l’attention, avec de l’ambition, etc., etc.

Autant dire une personne introuvable. Mais admettons que l’on trouve cette personne ou tout simplement que l’on revoit ses ambitions à la baisse. Elle est là, on se met en couple, on l’exhibe autant que possible, une idylle commence. La prochaine étape étant l’emménagement. Aïe. C’est le moment où il faut faire face à une réalité ayant sans aucun doute fait rompre de nombreux couples : la crise immobilière à Paris. Soyons réalistes, emménager avec une personne, c’est déjà prendre un énorme risque, ça passe ou ça casse. Alors quand le risque est multiplié par la crise du logement à Paris, il y a de quoi freiner des quatre fers. La vie en couple, impliquant forcément une augmentation des mètres carrés si on ne veut pas finir par s’entre-tuer  engendrent deux problèmes de taille : quitter son appartement et en trouver un nouveau.

Ces deux problèmes étant fortement liés à la capacité de financement de ce nouvel amour. Vivre à Paris, ça coûte cher, donner une chance à son amour à Paris, ça coûte encore plus cher. Alors quand les poches sont déjà vides en milieu de mois (tout est passé dans le shopping, les sorties et les impôts), forcément on y réfléchit à deux fois. Il s’agit donc premièrement de faire le deuil de son appartement que l’on a depuis suffisamment de temps pour que les loyers aient trop augmenté entre deux pour avoir aussi grand, aussi bien, au même prix. Donc si ça ne marche pas avec cette personne, il faut se faire à l’idée que non seulement on sera seul mais qu’en plus double punition, il faudra renier sur son pouvoir d’achat futur (bah oui, dans six mois ça aura encore augmenté).

Ensuite, il y a bien entendu la galère de trouver un nouvel appartement où il s’agira d’être à l’affût de la moindre nouvelle offre, de parcourir pendant des semaines Paris de long en large pour en trouver un nouveau, de supplier les personnes de son entourage (avec de grosses fiches de paye) de se porter caution, de faire des courbettes aux propriétaires parisiens (souvent imbuvables) et prier Sainte Rita pour que son dossier soit accepté. Sans parler des frais engendrés pour le déménagement, la nouvelle caution à verser, les meubles à racheter, etc. La bonne nouvelle au final étant quand même que l’on aura plus grand pour moins cher par tête de pipe et bien entendu la joie de vivre avec l’élu(e) de son cœur.  Soit ! On remet chouchou dans la balance avec l’élément «argent» de l’autre côté et on regarde de quel côté ça penche. Nous dirons que ça passe, juste, mais ça passe ;-).

On est encore à des années lumières des étapes du mariage et de l’enfant mais une autre bonne nouvelle non négligeable est qu’apparemment, contrairement aux idées reçues, le taux de divorce à Paris ne serait pas beaucoup plus élevé que celui dans le midi. Certes, cela reste le plus fort de France tout de même mais nos amis sous le soleil n’ont pas tant de leçons que ça à donner aux parisiens. Et puis, quand le vent commencera à tourner pour le couple parisien, il restera toujours le refuge de la maison de vacances en Bretagne pour ressouder le couple. Parce qu’à Paris, de toute façon pour continuer à y vivre sur du long terme, il faut surtout pouvoir en partir et en avoir les moyens. Et finalement même si tout ça ne marche pas, on peut toujours se consoler avec ces quelques paroles d’une chanson de Paris Combo : «C’est-y pas beau, ça, monsieur, qu’aux plaisirs de l’amour, on y, on y, on y revient toujours / Même quand ça nous joue de biens sales tours / (…) / Mais l’important nous dit-on, c’est de participer / Au plus grand des marathons, sans se décourager».

Nadir, 47 ans, animateur de «la pêche au sac» @ Foire du Trône

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Ah ! Les fêtes foraines et leur ambiance… Toute une histoire ! C’est typiquement le genre d’endroit qui me répugne et la foire du Trône de Paris n’échappe pas à la règle, voire peut être même encore plus que les autres. En journée, en plein été, c’est glauquissime à souhait. Quasiment pas un chat, on ne peut pas faire un pas sans sentir le regard lourd des forains qui vous regardent passer ou subir les assauts de mineurs en ruts, probablement plus excités que jamais après des sensations fortes leur laissant l’impression d’être les rois du monde. Un monde parallèle où tout est cheap et grossier : les manèges, la nourriture, les gens,… Dans ma ville d’origine, à Rouen, nous avons la même chaque année, à l’exception près que c’est en automne, qu’il pleut tous les jours, que les quais de Seine sont très mal entretenus et que la parcourir se transforme en parcours du combattant pour éviter les trous remplis de flotte. Les fêtes foraines, je les déteste mais en même temps, je ne peux pas m’empêcher d’être nostalgique. Mes premiers petits boulots payés au lance pierre, sans contrat bien sûr (bah oui on ne fait pas de contrat à des mineurs de 15 ans) et traitée comme de la viande avariée par les propriétaires. Une année, j’étais au kebab avec la magnifique odeur sur mes vêtements qui hantent encore mes narines, la suivante au chichis et crêpes aux conditions sanitaires plus que limites et la dernière, je me suis élevée au rang de baby-sitter où les gamins ne souhaitaient pas faire autre chose que regarder Dora l’exploratrice en boucle la journée entière…

Je m’égare mais en me remémorant la façon dont la tenancière de «la pêche au sac» parlait à Nadir, je ne peux pas m’empêcher de tout voir en négatif. Nadir est donc employé dans cette activité où «on ne peut pas perdre». Il y a toujours un cadeau à la clé et c’est bien ce qui lui plaît ici contrairement à d’autres stands où on peut vite se faire «dépouiller» et ne rien gagner «ce jeu, les gens savent tout de suite. Ailleurs, certains dépensent 50 euros alors qu’ils vont perdre et ils vont tous là bas. Ici, il faut attendre qu’il y est une première personne et après les autres personnes, ils vont venir et ensuite ils vont dire ‘ah il est sympa ce jeu’». Ce qui le met en rogne, c’est justement qand il entend les gens passer et dire ‘c’est de l’arnaque’, pour lui, c’est tout le contraire «il y a des clients, qui balancent des mots sans savoir ce qu’est le jeu, sans se renseigner, après ça reste et ça me pourrit ma journée». Et quand les personnes n’aiment pas le cadeau qui se trouve dans leur pochette «surprise», Nadir leur propose toujours de l’échanger contre un gros ballon ou un gros nounours «si je dois arnaquer les gens je n’accepte pas de travailler» me dit-il très sérieusement. Malheureusement, j’ai bien peur que Nadir n’ait pas tant le choix que ça de ne pas travailler. Je comprends au travers de son discours qu’il est dans une situation très précaire et les difficultés de la vie se lisent sur son visage malgré un sourire constant.

Nadir est originaire d’Algérie, il est arrivé en France il y a une dizaine d’années environ et a toujours vécu en grande banlieue parisienne depuis. Le français il l’a appris sur le tas, avant d’arriver il ne parlait pas un mot. Cela fait plusieurs années qu’il travaille à la foire tous les ans sauf l’année dernière où il a été très malade et dans l’incapacité de travailler. Alors le «travailler plus pour gagner plus» de Nicolas Sarkozy, il lui reste en travers de la gorge car c’est justement un excès de travail qui l’a rendu malade «on ne vit pas comme on veut aujourd’hui, il y a trop de galères, par exemple, on travaille beaucoup, on souffre et finalement tout ça pour pas grand-chose, c’est l’inverse de ce que Nicolas Sarkozy nous a dit, on travaille plus, on souffre plus et du jour au lendemain, la santé n’est plus et tout ce qu’on gagne de plus, on le dépense dans la santé, quelqu’un qui travaille de 14h et rentre à 3h du mat, on ne profite de rien, et c’est valable aussi en dehors de la foire». Son rêve s’il gagne au loto «vivre simplement et normalement», tout est dit. Il pourrait avoir de grandes envies mais non, lui, c’est uniquement vivre simplement et normalement, ce qui n’est définitivement pas le cas à l’heure actuelle. Trêve de choses qui fâchent, Nadir n’aime pas trop parler de ce genre de choses, mieux vaut se focaliser sur le positif comme par exemple Paris, la beauté de la ville, les soirées sur les quais de Seine à jouer de la guitare et partager ce moment avec qui veut bien… Fin de la discussion, nous n’en saurons pas plus, la patronne s’impatiente, Nadir doit aller lui chercher son sandwich.

Sylvie, 48 ans, vendeuse de lingerie coquine @ Pigalle, à deux pas du «Sexodrome»

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Autant dire que j’en ai fait des allers-retours à Pigalle avant de trouver enfin la personne qui accepterait de me répondre. Entre les refus catégoriques et regards lubriques de certains tenanciers de boutiques, j’ai eu envie à maintes reprises d’abandonner tout simplement. Et puis, je suis tombée sur Sylvie, petit bout de femme dont la joie de vivre et simplicité ont fait de cette boutique, parsemée de lingerie et accessoires coquins en tout genre, un magasin presque comme les autres. J’insiste tout de même sur le «presque» parce que bizarrement ce n’est pas à la boulangerie du coin que l’on pourrait entendre ce genre de discussion… La scène, un petit couple d’une vingtaine d’années qui vient s’acheter son premier godemichet apparemment à destination de Madame :

Le garçon cherchant timidement : tiens, regarde celui là, il a l’air bien
La fille : oh non ! Il est comme la tienne, ça ne sert à rien si c’est comme toi
Le garçon soupesant la bête avec un regard qui dit «c’est vraiment comme moi cette chose?»
La fille qui reprend : moi je préfère le KING KONG ! Regarde, y’a même les piles avec
Le garçon presque vexé et apeuré en même temps… : ah ouais, quand même !
Mais comme dirait le dicton : «ce que femme veut, Dieu le veut».

Sylvie, cela fait 26 ans qu’elle assiste à ce genre de scène et c’est bien la première à s’étonner d’être restée si longtemps à un seul et même endroit «si on m’avait dit que je travaillerais 26 ans là, j’aurais dit non». Non pas que le métier ne lui plaise pas, loin de là, mais plutôt c’est une femme qui est de nature à avoir la bougeotte. Finalement les années passent plus vite que l’on ne pense et puis ça l’amuse, elle s’y plaît dans sa boutique à agencer la vitrine, à rencontrer et discuter avec les clients «j’ai tellement de touristes qui passent, ça me profite au niveau allemand, anglais, espagnol, je parle des langues et il y a un côté folko. Les gens sont super sympas. J’ai des gens du théâtre, tous ceux qui ont envie de s’habiller sexy, des petites bourgeoises du 16ème qui viennent, des jeunes, des moins jeunes…», Monsieur et Madame tout le monde en quelque sorte. Il faut dire que ce milieu a bien évolué depuis quelques années, cela s’est démocratisé notamment auprès des femmes à base d’un grand renfort de marketing. Pendant que nos grand-mères faisaient des réunions «Tupperware», les génération suivantes, elles, se font des réunions «sex toys». Les boutiques ont suivi cette évolution «c’est beaucoup moins tabou qu’à l’époque, c’est ouvert, avant c’était les vieux rideaux qu’on trouvait louche sans s’avoir ce qu’il y avait derrière, là mes deux battants de portes sont ouverts, c’est accessible à tout le monde, c’est clair».

C’est toujours avec la même décontraction et simplicité qu’elle parle de son métier et des objets qui l’entourent «faut que les gens comprennent que ce n’est pas parce qu’on fait ce travail là qu’on est tordu moi je suis saine d’esprit. Voilà c’est un métier comme un autre et avec tout les petits boulots que j’ai fait c’est même plus plaisant, pour moi, c’est complètement banalisé. Finalement, on rentre et on voit qu’il n’y a rien d’extraordinaire. Tout ça, ce sont des petits jeux qui font parti du jeu. Le fait de s’habiller sexy, ça empêche la routine dans les couples. Un homme qui voit sa femme depuis 20 ans habillée avec des nuisettes Playtex et bien il y en a ras le bol des petites nuisettes, des fois, ça émoustille de mettre une guêpière, une nuisette sexy… Même prendre des petits jeu de couple où par exemple on lance les dés et on doit faire des gages». Bref, un métier comme un autre dans une boutique comme une autre. Bon, après, c’est vrai que d’être à Pigalle en mode «incognito» ça aide pour être plus détendu aussi «ils ne viendraient pas acheter ça à côté de chez eux c’est sûr mais ici c’est bon». En tout cas, Sylvie fait tout pour mettre les gens à l’aise, jamais un regard de trop ou jugement négatif, que l’on soit transsexuel ou petite bourgeoise, tous les clients sont les mêmes «on leur dit bonjour et on les laisse tranquille, il n’y a rien de plus rédhibitoire que d’‘avoir quelqu’un dans son dos, si quelqu’un a besoin d’un renseignement, je suis à proximité et je peux intervenir».

Finalement, Sylvie n’a pas l’impression de travailler quand elle est dans la boutique, c’est devenu une véritable experte qui connait ses produits sur le bout des ongles «je connais tellement bien mon domaine que vous pouvez me poser n’importe quelle colle je saurais vous répondre». Cette assurance, à la base elle ne l’avait pas, c’est avec le temps que c’est venu et elle va même jusqu’à me dire que ce travail c’était une «thérapie» pour elle «j’étais hyper timide quand j’ai commencé, j’étais toute rouge dès qu’on me posait une question, c’était le fait d’être confrontée aux gens, j’étais mal à l’aise mais j’ai pris de l’assurance et aujourd’hui je suis complètement guérie, je me sens bien, beaucoup mieux que je ne l’étais». Il faut dire qu’elle a tout ce qu’elle désire aujourd’hui : une vie équilibrée avec un homme, un bout de chou de dix ans, une jolie petite maison à Montrouge et ses loisirs (couture et création de bijoux). Une vie tranquille qui tranche avec ses débuts à Paris où elle était bien plus «fofolle» à écumer les bars, discothèques et sorties en tout genre. En fait, débarquée à Paris d’une petite ville de Franche-Comté il y a quasiment trente ans maintenant pour normalement une seule journée shopping, Sylvie n’en est jamais repartie. Elle a eu une opportunité de job dans la restauration, a sauté sur l’occasion, laissé tomber son bac et tout le reste avec. Pendant trois jours, elle a fait la morte avant d’oser avouer à ses parents qu’elle s’installait à Paris. C’est une impulsive qui suit ses envies, mais voilà, dans la vie il faut faire des choix, même parfois irréfléchis et elle ne le regrette pour rien au monde quand elle voit où elle en est aujourd’hui. Paris et ses nuits folles, elle en a profité pendant 20 ans, maintenant c’est un Paris plus calme mais tout aussi agréable.

Pour elle, «provinciale» à la base mais parisienne d’adoption, les parisiens ce sont «des râleurs et je n’ai pas honte de le dire» avec en tête de file son compagnon «parisien pure souche». Un exemple : «le matin si j’ai le malheur de faire tomber une goutte de café, il va dire «oh elle m’a fait une piscine» voilà le genre. C’est l’horreur mais en même temps il est sympa, c’est juste qu’il ne peut pas s’empêcher de râler» me dit-elle amusée. Et puis, selon elle, il y a une espèce de froideur chez les parisiens «si le parisien ne connait pas la personne, il ne va pas lui parler. Les gens sont dans leur coin, si on leur sourit, on a l’impression de les déranger». Enfin, les parisiens sont pressés «ils courent tout le temps, ils ne savent pas se poser. Ils sont tout le temps en retard donc forcément ils courent pour être à l’heure. Et ils se laissent entrainer par le tourbillon de la ville, ils se laissent aspirer par ça, en avant, toujours en avant… Mais comme moi je l’ai fait aussi, il y avait une période où je n’arrêtais pas. Heureusement que j’avais la santé!». Et il y a les transports aussi. Mais voilà tout ça, c’est plus que supportable «je me suis acclimatée, je me sens de la ville. J’ai toujours adoré la ville, j’aime ça, faire les magasins, sortir, je me sens chez moi ici bien plus que chez mes parents en Franche-Comté». Maintenant, en Franche-Comté, elle n’y retourne que pour se ressourcer, voir des amis, sa famille et dépenser ensuite son énergie à Paris. Et puis, la ville est intellectuellement stimulante «à Paris, on a tout sous la main, on peut aller au Louvre, à Pompidou,… Le parisien c’est quand même quelqu’un de plus cultivé que quelqu’un de la campagne. Il y a des gens très intéressants à la campagne, je ne dis pas le contraire mais on a quand même moins d’occasions qu’ici de se cultiver». Une vie pleine et comblée à Paris en somme, où il ne manque peut être qu’une petite pièce en plus dans leur petite maison de Montrouge mais bon, même ça, on peut vivre sans tant qu’on a le reste!

Jeunes comédiennes et comédiens en herbe, de 20 à 27 ans @ petit troquet à côté du cours Florent

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Victoire : au milieu
François : T-shirt marron à droite
Adelaïde : en bas à droite
Maxime : en haut à gauche
Renaud : en bas à gauche

Les présentations, votre parcours ? 

Victoire : je suis en deuxième année des cours Florent, j’ai 22 ans, moi je viens de Lille. J’ai fait une école de commerce, j’ai arrêté et je suis arrivée un peu par hasard en cherchant un cours de théâtre, ça m’a plu donc voilà je me suis inscrite, il y a un stage d’accès d’une semaine et à la fin ils te disent si tu peux intégrer les cours ou pas, mais c’est assez facile le niveau, après d’une année à l’autre, il y a un écrémage
François : bonsoir, François qui est le cousin de Victoire (mais pas le vrai) moi aussi je suis en deuxième année, je viens de l’Île de France, j’habite plus Paris en ce moment. J’ai toujours voulu faire du théâtre. Au début j’étais parti pour faire de la bio et ça ne me plaisait pas, du coup, j’ai repensé à faire du théâtre. J’ai tenu trois ans en bio. Pour le cours Florent, sachez le tout le monde peut y aller !
Adélaïde : Adélaïde
Victoire : elle est canon
Adélaïde : n’importe quoi ! Bonjour, je m’appelle Adélaïde, j’ai 27 ans, donc je suis aussi au cours Florent et avant j’ai fait un master en management en hôtellerie-restauration, moi je suis un peu plus vieille. En fait, quand on rencontre des personnes plus âgées qui témoignent de leurs vies, de leurs regrets et quand j’ai eu mon master je me suis demandée : est ce que j’ai vraiment envie de faire ça? Qu’est ce qui me plaît réellement ? Sachant que j’avais fait du théâtre quand j’avais 19 ans et j’avais vibrer sur les planches, et bien je me suis dit je vais tenter ma chance et si jamais je me casse la gueule j’aurais toujours mon diplôme
Maxime : mon parcours, ma vie ? Oulala mais on n’a pas le temps ! Pareil je suis en deuxième année avec toute cette bande de joyeux lurons, moi j’étais dans le délire scientifique, j’étais en biologie, puis en fait je me suis redirigé vers le théâtre car j’ai réalisé mon rêve trop tôt. Mon rêve c’était de partir en Amazonie pour faire de la biologie et voir un oiseau très rare et par un gros coup de bol, j’ai pu partir, j’ai eu l’impression d’arriver trop vite au nirvana entre guillemets, je me suis dit soit je fais 10 ans d’études pour y retourner alors que j’ai déjà vu soit je réalise un autre gros rêve, et du coup je ne regrette pas car j’ai rencontré des gens super sympa
Victoire : dis que je suis ta meilleure amie
Maxime : oui Victoire est ma meilleure amie, évidemment
Renaud : moi c’est Renaud, j’ai grandit en Auvergne, dans le cantal après avoir passé le bac je suis venu au cours Florent
Victoire : c’est un bébé
Renaud : oui c’est ça, j’ai 20 ans, quand j’avais 10 ans j’ai fait un casting dans mon bled ou j’ai été pris du coup j’ai fait deux téléfilms, c’était «L’instit», et ça m’a donné envie de faire ça, et après je me suis dis que je passais mon bac et si ça me plaisait toujours je ferais ça, et là je suis en deuxième année et ça me plaît beaucoup

Paris, qu’est ce que ça vous évoque ?

Victoire : moi à la base j’aimais pas trop l’idée de Paris, en tant que provinciale de mon état, je voyais ça comme un endroit stressant et finalement plus j’y suis, plus je découvre les bons côtés de Paris et voilà et je SUIS BLONDE
Maxime : c’est vrai qu’en étant tous provinciaux, on nous a tous décrit Paris de manière un peu péjorative, forcément les gens qui sont de province ils disent «j’irais jamais habiter à Paris»
Victoire : comme les Parisiens disent «moi j’irais jamais habiter en province»
Maxime : et du coup en arrivant ici on avait des a priori sur Paris comme beaucoup de gens et moi je suis plutôt agréablement surpris, je pense que quand on est à Paris mais pas dans un cadre de routine, comme nous parce qu’on est dans une école de théâtre donc ce n’est jamais la même chose, quand on est pas inscrit dans une routine c’est parfait, se lever très très tôt, prendre le métro pour aller au boulot, rentrer très très tard
Victoire : métro boulot dodo
Maxime : oui c’est ça mais je ne voulais pas le dire parce que je trouvais ça trop cliché
Victoire : bah c’est ce que tu as expliqué ce n’est pas de ma faute si tu n’as pas d’imagination
François : moi venant d’Île de France, ça a toujours été facile de monter sur Paris, etc. Après le RER c’est chiant mais bon on en parlera plus tard, moi j’ai toujours aimé paris et routine ou pas routine, j’ai toujours voulu habiter ici, et voilà je trouve ça toujours aussi bien même en y habitant, en y vivant, j’aime me promener, j’aime tout ça
Renaud : ville, pollution, il y a d’énormes bons côtés, la culture, carrefour ethnique, ça c’est génial pour ça, après c’est la ville, il n’y a pas d’horizon, pas d’air pur, pas de verdure, la nature elle est enfermée dans du béton, mais si on s’y plaît, qu’on fait quelque chose qui nous passionne, c’est génial alors surtout niveau culturel
Adélaïde : moi sachant que j’ai toujours vécu à St Germain, pour moi paris c’est une ville comme une autre après le fait d’y aller tous les jours c’est vrai qu’il y a des inconvénients comme ils ont pu dire, métro, etc. mais d’un autre côté il y a tellement d ‘endroits insolites, de choses à faire, qu’on y trouve son compte très très rapidement. Des parcs, il y a plein de bars et tout d’un coup, on arrive et on sort complètement de la ville comme au «Comptoir Général» et « Flateurville » qui est un bar associatif, et on se retrouve dans une chambre d’enfant à côté il y a la chambre des parents, ensuite un cabinet de dentiste, une voiture tout ça en buvant un verre. Et pendant l’été il y a plein de choses qui sont proposés comme les concerts à l’Hôtel de ville, des petits concerts électro sur les quais. Il y a des moments où on peut facilement s’évader, ce que j’aime dans paris c’est la capacité à pouvoir m’en évader

Vous habitez où ? 

François : au métro Anvers
Victoire : moi je suis chez François
Maxime : j’habite à Corbeil-Essonnes en banlieue sud sud sud
Adélaïde : j’habite à St Germain-en-Laye chez mes parents
Victoire : elle est là la bourgeoise !!!
Renaud : moi je suis à Drancy

Votre meilleur souvenir à Paris ?

François : mon meilleur souvenir, la balade sur le pont des arts, l’été juste on s’assoit sur un banc sur le pont des arts, y a des gens qui bouffent leur pique nique, y a des gens qui passent, y a pleins de cadenas mais ça je m’en fous, et on voit tout paris, voilà c’est un de mes plus beaux souvenirs, quand j’y vais c’est toujours aussi bien, des fois j’y vais seul, des fois avec des gens
Victoire : pas de souvenirs particuliers, des soirées mais ça ne se raconte pas
Maxime : un souvenir de scène, c’était la toute première de mon one man show, dans le marais, ils étaient tous là en plus à la première, les gens tapaient du pied et je m’y attendais pas du tout, et du coup ça m’a donné l’énergie nécessaire
Victoire : pourtant on faisait tout pour te faire stresser !
Renaud : moi je n’ai pas un meilleur souvenir mais plusieurs très bons souvenirs, soit d’aller voir des pièces de théâtre ou dans la rue, des soirées, se poser, jouer de la musique et des gens qui passent dans la rue et qui te rejoignent pour jouer avec toi, et une autre personne qui passe et qui te rejoint et puis encore une autre personne et ainsi de suite…
Adélaïde : j’en ai deux ! Un premier pour faire genre, la première fois que je suis rentrée dans la Comédie Française, c’est un théâtre magnifique, y a des grands escaliers, des hommes en queue-de-pie, ça donne réellement envie de jouer là bas, moi je suis périmée parce qu’il faut faire le conservatoire et au niveau de l’entrée, c’est maximum 25 /26 ans et moi j’ai 27. Le deuxième c’était cet été, y avait une grosse soirée organisée à l’hippodrome de Longchamp. Il y a eu un orage et on dansait sur Martin Solveig sous la pluie et tout d’un coup il y a eu une super énergie ! En plus il y avait pleins de nanas super bien coiffées avec de super robes et là ça nous a toutes remises à 0…

Pire souvenir ?

Victoire : la première fois que j’ai pris le métro, c’était chiant, j’y connaissais rien, y a deux lignes de métro à Lille et ici 14, j’ai galéré, j’avais demandé à une pote de me montrer la route, on avait fait la route la veille de ma rentrée parce que j’étais stressée, elle m’a montrée les changements qu’il y avait de Trocadéro jusqu’à Crimée, mais maintenant j’ai une super application Iphone (rire), non vraiment le métro parisien je ne suis pas fan
Maxime : souvenir global de toutes les fois où je me suis pris la tête avec des gens, je les suppose parisiens, mais j’ai l’impression que c’est un sport ici, c’est à dire qu’il y a des gens qui cherchent le petit détail où ils vont pouvoir s’engueuler et ils s’engueulent !
Victoire : je te rassure, ça, c’est partout !
Maxime : ah non vraiment ici ! C’est catégorique. J’ai un exemple très précis, c’était dans un cinéma, y avait de la place partout, presque personne dans la salle, et j’avais mon gros sac sur le siège à côté parce que je pouvais pas le mettre en dessous de mes jambes, et là y a une personne qui voulait s’asseoir exactement à la place de mon sac, je lui ai demandé «est-ce-que ça ne vous dérange pas de vous déplacer de 40 cm comme ça je peux garder mon sac à côté ?» et en fait on s’est pas engueulé mais la personne ne m’a pas laissé en placer une et c’est ça que je n’ai pas supporté moi je savais que j’avais raison sur toute la ligne mais elle me disait «ah mais non mais votre position elle est indéfendable» et toutes les fois où je me suis fritté à Paris, les gens ils provoquent l’altercation et finalement ils ne laissent pas parler. Du coup je me suis décalé, y avait de la place partout donc bon !
François : moi c’était en voiture j’ai mis deux heures pour faire 5 km, voilà, c’était juste insupportable, c’était dans Paris de porte de Clignancourt à République
Victoire : et un jour Renaud il a fait tomber sa banane et il l’a ramassé et il l’a mangé
Renaud : moi je cherchais le pire et il parle de voiture et c’est bien ça, le déménagement pour traverser paris, du 16ème jusqu’à Bobigny, en pleine nuit à 3h du mat on avait mis un quart d’heure, en pleine journée 4h ! Je l’ai fait plusieurs fois pour déménager, c’était insupportable…
Adélaïde : moi c’est la fois où je me suis battue dans le métro pour une place mais je ne veux pas raconter cette histoire!
Renaud : et dans les embouteillages les abrutis qui klaxonnent au feu rouge, ça représente l’esprit parisien en général, c’est assez représentatif comme manière d’être

Important dans la vie ?

François : Les oiseaux, les pharaons, je vais me commander un verre
Renaud : être heureux et d’être bien dans sa peau
Adélaïde : ne pas avoir de regrets
Victoire : je suis pour la paix dans le monde
Maxime : aimer et se savoir aimer
Victoire : (commence à chanter), l’alcool, le sexe
Maxime : de se dire que quand on est arrivé à la fin du temps imparti, se dire qu’on aura aucun regret. Voilà, de pas s’être branlé la nouille toute la vie

Qu’est ce qu’un Parisien ? 

Maxime : un bobo
Victoire : quelqu’un qui vit à paris
François : c’est un humain comme les autres
Maxime : le parisien est finalement assez rare, je ne rencontre que des gens qui n’ont pas vécu à Paris, le parisien caricatural, il est assez rare
François : le parisien parfait c’est celui qui refuse de comprendre qu’il y a quelque chose ailleurs, il rit au nez de tout ce qu’on peut dire d’ailleurs
Adélaïde : je pense qu’un parisien c’est quelqu’un qui a du s’épanouir dans une ville qu’on peut tous critiquer et qui a du subir tout le quotidien que nous subissons actuellement et dont ne nous sommes pas habitués, donc un parisien ça ne peut devenir qu’une personne aigrie
Renaud : un parisien pour moi c’est quelqu’un qui a grandi à paris
Maxime : il y a très peu de gens qui se revendiquent parisien, moi je vis à paris depuis deux ans mais c’est vrai que je ne me considère pas du tout comme parisien
Renaud : en général on se considère comme appartenant à une ville une fois qu’on quitte cette ville, quand j’étais en Auvergne, je suis né dans le Sud et je disais je suis montpelliérain, et depuis que je suis à Paris je dis que je suis auvergnat, donc peut être que quand je quitterai paris je me sentirai parisien parce que j’aurais eu des attaches, on ne sait pas, on ne peut pas savoir
Maxime : moi j’ai vécu un peu partout en France, j’ai vécu 4 ans en Guyane et j’ai passé 7 ans à Mont-de-Marsan et pourtant je dis plus que je suis guyanais plus que je suis landais, c’est peut être les endroits où il s’est passé le plus de choses, où on s’est construit, nous on ne s’est pas construit à Paris, on n’a pas tendance à dire qu’on est parisien
Victoire : moi je suis Chtimi de toute façon, par rapport à du Maroilles, j’ai rien à dire de plus !

C’est quoi les limites de paris ?

Maxime : le périphérique de Paris
Adélaïde : là où il n’y a plus de métro
Renaud : ça dépend si on est parisien ou pas. Pour moi, au départ celui qui habite 50 km autour de Paris, il est parisien, mais maintenant que je suis ici je me rend compte que c’est très différent même si tu habites 2 km après paris, ce n’est plus paris
François : dans la mesure où on fait 1 h de trajet pour aller travailler c’est qu’on n’est pas parisien, quand on doit prendre la voiture ou le RER, dès qu’on sort de Paris, on rentre chez soi et on ne pense plus à Paris justement

Votre rêve si vous gagnez au Loto ?

François : moi je m’achète un énorme appartement à Montmartre, un grand duplex
Victoire : prendre des vacances, faire la fête, acheter des sacs, je fais la fille, sinon acheter un bar à long terme
Maxime : moi je rachète la française des jeux, comme ça je me fais encore plus d’argent et quand j’aurais beaucoup d’argent je rachète la partie la plus grosse d’Amazonie, et je mets du grillage partout et dès qu’il y a des braconniers, je leur tire dessus
François : et je rachète la société Weight Watchers
Renaud : je pense que je m’en servirai pour produire quelque chose de culturel, d’artistique
François : moi aussi
Renaud : bah oui mais tu ne l’as pas dit ! Et faire en sorte qu’il n’y ait pas des gens qui crèvent de faim
Adélaïde : moi production artistique, je serais mon propre investisseur, créer quelque chose et ne pas me soucier du coût des spots et en donner un peu à mes parents, ils me subissent depuis quand même quelques années !

Vous vous voyez rester à Paris ? 

François : de toute façon, c’est là où on va trouver du boulot, où on a le plus de chance de réussir, et même si je ne réussi pas dans ce métier je resterai à Paris, même trouver autre chose, moi ça me convient très bien Paris, il y a surement plein d’autres endroits qui sont géniaux mais non c’est Paris
Maxime : j’essaie de pas trop y penser, parce que j’ai toujours bougé beaucoup et ça fait que deux ans que je suis là mais je me suis toujours imaginé que plus tard je serais ailleurs, mais comme je commence une carrière de comédien, il vaut mieux rester à Paris. Mais j’ai toujours rêvé de partir ailleurs après, pour le moment je suis trop fan pour partir vite mais on ne sait jamais si ça ne se passe pas bien la comédie et que je n’en peux plus de Paris alors je partirais. Je suis venu ici exprès pour devenir comédien donc c’est super pour le moment, c’est une chance de pouvoir être ici
Adélaïde : peut être juste pour avoir un pied à terre mais voyager un maximum surtout avant d’avoir des enfants parce qu’à partir du moment où on en a, notre regard change énormément, nos priorités ne sont plus les mêmes, encore plus en tant que femme. Et je voudrais voyager car je ne comprends pas les gens qui restent dans un patelin pendant des années et des années sans jamais en sortir parce qu’il y a les experts à la télé. Le monde est tellement vaste et puis il y a tout ce qui est transports low cost, y a vraiment moyen de voyager, la possibilité de bouger, partir. Je ne sais pas encore mais je sais que je dois aller en Australie, j’adorerai aller en Inde, les Etats-Unis ça ne m’attire pas vraiment, je suis plus les endroits où il y a une histoire, dans tous les cas plutôt backpackers
Renaud : comme ça je ne me vois pas du tout rester à Paris mais c’est vrai que si je veux faire ça de ma vie, ça va être compliqué ailleurs donc je verrais si je suis heureux ici ou pas. C’est vrai qu’avant de venir à paris je m’étais dit «jamais je n’irai à Paris» parce que je ne suis pas du tout urbain. Si je ne me plaît plus ici, je me barre direct, je serais toujours comédien même si je ne gagne pas ma vie avec.

Votre carrière, vous la voyez comment ? 

Renaud : j’aimerais bien monter une troupe, faire des créations, faire des tournées, voyager, sortir de la France
Adélaïde : au fur et à mesure des cours j’ai réalisé que j’étais plus sur la mise en scène plus que sur l’interprétation même
Maxime : on est obligé de s’improviser metteur en scène au cours Florent, surtout aujourd’hui quand on met en scène nos propres projets, ça va plus vite, plutôt que d’attendre que les metteurs en scène nous choisissent sur un étalage de melons… Le métier de comédien était un peu résumé à des gens qui écument les casting en espérant être choisit un jour, et là on est une génération où les comédiens sont obligés d’amener leur matière, il y a tellement de comédiens qu’il faut trouver un petit truc pour aller plus vite
Victoire : à l’heure actuelle après le cours Florent je ne sais pas mais dans ma vie je ferais deux choses, je continuerai la comédie parce qu’il n’y a pas de raison que j’ai envie d’arrêter et je pense que je tiendrai un bar parce que c’est ma deuxième passion
François : dans la mesure où je n’ai pas d’autre diplôme, je suis obligé de réussir, moi c’est la comédie, après la mise en scène ça fait parti du métier de comédien, mieux vaut tout savoir faire mais laisser le boulot qu’on ne veut pas faire aux autres

Paris dans 20 ans, ça ressemblera à quoi ?

François : je ne sais pas, les halles vont changer, si ce n’est que des changements matériels, je ne suis pas sûr que l’ambiance ou niveau de vie va s’améliorer ou se dégrader, ça fait 50 ans que ça n’a pas beaucoup évolué alors est-ce-qu’en 20 ans ça va plus évoluer qu’en 50 ans, je ne suis pas sûr, si ce n’est les bâtiments ou les améliorations pour la vie des parisiens
François : Paris va rayonner de moins en moins, j’espère que ça va rester un pôle de lumière comme aujourd’hui mais j’ai peur que ça devienne un peu plus un musée et que les pôles de création, qui sont déjà en train de naître ailleurs, volent la vedette à la plus importante ville du monde (rires)
Adélaïde : moi j’ai peur d’une dégradation et d’une surpopulation. Ici, en 50 ans ça a changé, il suffit juste de regarder les photos de Doisneau
Renaud : il y aura de plus en plus de pauvreté et de plus en plus une élite qui va se créer. Des différences encore plus grandes entre les riches et les pauvres… Sinon peut être construire des pistes de ski pour skier l’été, détruire les HLM non je ne sais pas ça va mal, c’est le monde en général et ça va se répercuter à Paris comme ailleurs

Merci à tous ! 

Jean-Loup, 70 ans, Orfèvre @ le Haut Marais

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J’ai ressenti comme un malaise en rencontrant Jean-Loup que je retrouve aujourd’hui en reprenant son interview. Je ne saurais pas décrire ce malaise, il s’agit peut être plus d’une forme de mélancolie sur le temps qui passe, de sensations d’une époque que je n’ai pas connu et ne connaîtrais peut être jamais, de questionnements sur l’avenir. Ce n’est pas Jean-loup qui me l’a transmise, enfin pas directement, au contraire, c’est un homme qui sait parler du passé mais sans nostalgie ni apitoiement. Même pour son métier, à l’agonie et dont il observe le déclin depuis des années, il n’éprouve pas de regrets, comme une espèce de fatalisme joyeux. En fait, Jean-Loup est un ami de la famille d’un ami, échelon «grand-parents». J’avais vu une photo de lui (sans savoir que c’était lui) plusieurs semaines auparavant, vieille de quarante ans au moins et pourtant si bien conservée, il devait avoir à peine 30 ans, faisant la fête entre amis, en maillot de bain et avec un énorme cigare au bec, prenant une expression de visage rigolote. Je n’arrivais pas à détacher mes yeux de cette photo, elle me semblait à la fois très actuelle mais différente. Il y avait une forme d’insouciance, de légèreté dans son regard et cette façon de s’amuser que «notre» génération n‘a pas. Il me semble qu’il y a toujours une lourdeur dans nos photos, à la limite du pathétique, nous nous amusons pour oublier, nous cherchons à nous imposer à la vie. Avec cette fameuse photo, avec cette rencontre, c’est comme si en un claquement de doigt j’avais fait un saut de 40 ans dans sa vie, dans la mienne. C’est peut être pour ça que notre conversation a constitué en grande partie à parler du passé, peu du présent et encore moins de l’avenir. Je cherchais sans doute à combler ce vide, me dire que l’on ne passe pas de 30 ans à 70 ans si rapidement. A son contact, je n’aimais plus le Paris d’aujourd’hui, je n’avais plus l’envie d’y appartenir. A quoi bon s’accrocher à quelque chose en train de mourir ? Paris a tellement évolué, ça grouille de monde, il y a toujours quelque chose à faire, quelqu’un à voir et pourtant il n’y a pas de vraie dynamique. Tout d’un coup j’avais le sentiment qu’il n’y avait plus rien à attendre de cette ville. Que ceux qui ont eu la chance de la vivre, ce sont des personnes comme Jean-Loup, d’une autre génération. Que pour les quarante prochaines années, je n’y ferais que survivre, un pion parmi d’autres. Et puis il y a eu et il y aura le weekend, de nouvelles sorties, de nouvelles rencontres, de nouvelles photos…

Revenons à Jean-Loup.

Jean-Loup est donc orfèvre, mais pas dans la bijouterie, lui ce sont les objets «on travaille avec les mêmes matières nobles mais on fabrique des objets de plus grande échelle» m’explique-t-il. Aujourd’hui la majorité de son travail consiste à rénover des pièces de famille. Plus personne quasiment n’achète de service en argent, à la rigueur, il vend de temps à autre des petites timbales ou ce qu’il appelle «des moutons à cinq pattes», des objets pour des commandes très spéciales. Il s’est bien essayé un peu au design, il avait fabriqué une sorte de vase en trois exemplaires, l’un a été donné, un autre a fini dans un musée et le troisième a été vendu au bout de dix ans ! Voilà, Jean-Loup est un artisan, pas un artiste comme il se décrit modestement. N’empêche que dans sa caverne d’Ali Baba, en le voyant travailler, je ne pouvais m’empêcher d’admirer ce travail minutieux qui demande tant de concentration et de maîtrise. L’une de ses plus belles anecdotes, c’est lorsqu’il a réparé la petite boite à musique d’un client déjà bien âgé «un homme qui vient avec une boite à musique en argent qui ne marchait plus. Ce monsieur l’avait eu de son grand père de ses 7 ans, il venait juste pour un nettoyage et pour nettoyer, j’étais obligé de démonter un peu et comme je suis curieux, finalement je démonte tellement que j’ai pu la réparer. Le monsieur revient à la boutique, je ne dis rien et là le coq sort et ça commence à faire de la musique… La petite larme du monsieur, c’était le choc pour lui, il ne l’avait pas vu chanter depuis des décennies». C’est ça qui lui plaît dans son métier, le contact avec les clients, le rapport à la matière noble et faire de temps à autre salon de thé, comme ce jour où je suis venue où on s’arrête de travailler pour discuter de choses et d’autres. Ses parents voulaient qu’il soit dentiste, lui voulait faire les beaux arts, et finalement c’est orfèvre qu’il est devenu, il a suivi les traces de son père et il aime ce qu’il fait. Mais pour être honnête, il me semble que Jean-loup aurait pu faire n’importe quoi d’autre, il y aurait trouver son bonheur. Il fait parti de ces gens qui savent se contenter de peu et dont le seul vrai objectif de mener sa barque le lus paisiblement possible «c’est pas une grande philosophie, je veux juste être heureux et le plus longtemps possible, être riche, je m’en fous, je ne le suis pas, ça ne me gêne pas de dire qu’il y a des gens plus intelligents que moi non plus, l’important c’est d’être heureux et d’avoir des amis».

C’est un enfant de la guerre, né en 43 en zone libre à Nice de parents juifs ayant fuit la capitale, ses parents ont du repartir de zéro après la guerre. Originaire d’une longue lignée de diamantaire, dont le poinçon, marque de fabrique de la maison, témoigne encore aujourd’hui de ce passé, cette maison d’orfèvrerie a été fondée par son père dans les années 30 qui a l’époque possédait l’immeuble en face de l’atelier d’aujourd’hui. Ruiné et dépossédé après l’épisode de la guerre, son père est finalement revenu sur les pas de là où il était parti et ils ont investi l’atelier-boutique qui n’a que peu changé depuis ce qui est loin d’être le cas du quartier. Jean-Loup est sans doute la dernière «blouse blanche» de la rue. A l’époque – celle où la mixité se faisait dans les immeubles en fonction de l’étage et non du quartier – il était courant d’en croiser plusieurs dans la rue, d’ailleurs, ce quartier, c’était une vraie fourmilière de jour me raconte-t-il. Avec les Halles pas très loin, c’était le coin où on venait se fournir aussi chez les grossistes en chaussures, et la rue était tellement encombrée qu’il était impossible de faire venir un taxi jusque devant l’atelier, ils refusaient catégoriquement de se retrouver coincés entre deux camions. C’est sûr que ça devait trancher avec le calme de la rue d’aujourd’hui plus résidentiel qu’artisanal et commercial… De même, avant la rénovation du Marais, il n’était pas rare que les cours des hôtels particulier – délabrés – étaient envahies par des ateliers d’artisans voire des garages. Jean-Loup a même connu les chevaux dans Paris, dont usait le marchand de pain de glace  «c’est un souvenir d’enfant extraordinaire, c’était des voitures fermées en bois et il morcelait, coupait les pains de glaces, il avait un énorme pic à glace. Nous on habitait au 4ème sans ascenseur. À l’époque, on n’avait bien sûr pas de frigidaire, que des glacières et on lui disait un demi pain ou un quart et il montait son pain de glace». Mieux encore, il se rappelle, amusé, de vaches circulant dans Paris rue de Passy et d’un poulailler dans le petit jardin en face de son ancien immeuble. Mais comme il me dit «la façon de vivre change, il n’y a pas à regretter ce qui n’existe plus, on vit plus longtemps, on atteint des âges avancés en meilleur état et ça, ça compte, il ne faut pas regretter, ça ne sert à rien la nostalgie». Donc voilà, le Paris d’hier comme celui d’aujourd’hui, il les aime tout autant et il s’y promène et s’y promènera toujours avec le même plaisir que ce soit les Invalides ou le quartier de la Goutte d’Or «il y a des conceptions comme ça, même quand c’est laid, c’est beau». Que rajouter de plus à ça ?

Yipeng, 18 ans, lycéen, serveur, livreur, ouvrier en bâtiment, cuisinier… mais aussi rappeur et acteur @ terrain de basket sous le métro aérien près de Stalingrad

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Il y a des rencontres qui nous marquent plus que d’autres, celle de Yipeng m’a particulièrement émue. Un jeune homme de 18 ans qui a grandit plus vite que les autres, faisant preuve d’une maturité que peu de garçons de son âge ont. Une histoire peu banale et pourtant trop commune, celle d’un enfant d’immigrés, lui-même immigré. Yipeng est né en Chine en 1994. Ses parents sont partis en France alors qu’il n’avait pas 5 ans, laissant derrière eux leur fils sous la protection de ses grands-parents. Ce n’est qu’à l’âge de 10 ans qu’il a rejoint ses parents devenus presque des inconnus.  Ses grands-parents «c’était mes parents» me dit-il. Une séparation difficile «je n’étais pas content, on ne sait pas quand on pourra revenir en Chine et puis mes grands-parents ils sont âgés, peut être qu’ils vont partir avant». Pour retourner en Chine, il faut tout d’abord en avoir les moyens financiers mais aussi être régularisé et jusqu’à peu ce n’était pas le cas. Arrivé en clandestin, Yipeng s’estime chanceux de son voyage «pas trop dangereux»«moi ça va, je n’ai pris l’avion que pendant deux semaines, j’ai des amis qui sont plus âgés que moi, ils sont passés par la Russie, ils ont traversé la mer, eux ils ont vécu des choses, moi ça va». Depuis son départ de Chine c’est «la souffrance» qu’il a découvert, les inégalités, le racisme, les difficultés financières,… Pour aider ses parents tous deux employés dans «la couture», il a commencé à travailler très jeune, à 13 ans exactement «j’étais très grand pour mon âge donc je disais que j’avais 17 ans» et les employeurs peu scrupuleux croyaient ce qu’ils voulaient bien croire. Des horaires de folie pour un salaire de misère «quand on est mineur, on est mal payé, mal traité, et on travaille finalement encore plus qu’un majeur». Une fois, alors qu’il travaillait dans le bâtiment, sa récompense après 10h de travail, ça a été 20 euros. Son quotidien jusqu’à il y a peu, c’était l’école la journée, le travail le soir «j’ai toujours eu des difficultés, de la fatigue, je termine à 23h le soir et avec le temps que je rentre, j’arrive chez moi, je prends une douche et des fois je ne peux pas faire mes devoirs, le lendemain j’ai envie de dormir en cours et les profs ils ne comprennent pas». Du coup, il a arrêté l’école l’année dernière, à quelques semaines du bac à peine. Le bac, des études ? Pour quoi faire de toute façon, Yipeng est persuadé que cela ne lui servira jamais «j’ai un copain qui a 26 ans, il est né en France, de nationalité française, dans sa famille personne ne parle chinois que français, il est allé assez haut, il est diplômé d’un master, il a commencé le boulot en même temps que ses camarades et au bout de trois ans, mon ami n’a jamais évolué alors que tous les autres ils ont évolué, la direction ne fait pas confiance à un chinois. C’est pour ça que j’ai envie d’arrêter l’école aussi, si de toute façon la situation c’est comme ça, je préfère bosser pour moi».  Travailler, gagner de l’argent mais «gagner pour vivre pas pour survivre», c’est tout ce qu’il demande, un peu de temps pour aller faire une partie de basketball avec ses amis et un peu d’argent pour enrichir sa collection de baskets, sa deuxième passion. La vie de ses parents, il la respecte, il l’admire même mais c’est une autre génération «pour mes parents, ce qui étaient important c’était d’avoir le plus d’argent, une belle voiture, une belle maison et une bonne réputation, moi personnellement la réputation, l’argent ce n’est pas aussi important, je ne gagne pas pour garder l’argent et dire j’ai plein d’argent, c’est la différence de génération». Il y a un point sur lequel il insiste néanmoins, c’est la tendance générale à ne pas voir que quasiment derrière chaque boutique tenus par des asiatiques, il y a une vie de labeur derrière «les Français, ils voient que les Chinois, les asiatiques, ils tiennent une boutique, un commerce mais ils ne voient pas à quel point on a travaillé pour gagner cet argent, pour acheter quelque chose… Sur 10 ans, quand on travaille 18h par jour, ensuite on a les moyens d’acheter quelque chose, n’importe qui peut le faire et ça les Français ils ne voient pas tous les sacrifices qu’on doit faire pour en arriver là». Et pourtant sa famille a beau économiser chaque euro possible, ils n’ont toujours pas réussit à ouvrir leur propre commerce «on n’a pas encore les moyens pour faire ça, c’est tellement difficile d’économiser l’argent et là en plus c’est la crise», cela arrivera bien un jour à force de travail mais pas tout de suite, et ensuite, une fois seulement que cet objectif sera atteint, il sera envisageable de retourner en Chine pour voir la famille. A Paris, en France, Yipeng se sent «coincé», la vie parisienne n’est pas vraiment son idéal de vie, mais a-t-il d’autres choix que de prendre son mal en patience ? «pour vivre ici finalement on a toujours quelque chose à payer, un loyer, des charges, les impôts,… Par exemple moi j’ai du mal à payer l’auto-école pour avoir le permis. Sur Paris, il a trop de difficultés, on a trop de choses sur les épaules et on se sent tout le temps pressé, ça passe vite, on travaille, on rentre chez soi et finalement seulement quelques sorties avec les amis le week-end». Tous ces problèmes, quand il appelle ses grands-parents en Chine, il les garde pour lui, la règle d’or c’est de leur faire garder l’image de «l’eldorado de la tour Eiffel» pour les préserver «les familles qui sont en Chine, elles pensent que sur Paris tout est beau, tout est magnifique, ils ont l’image de la tour Eiffel. Mais moi, avec ma grand-mère – je l’aime beaucoup, c’est elle qui m’a élevé – et finalement je ne lui raconte que des belles choses pour qu’elle ne s’inquiète pas». Yipeng a néanmoins ressenti le besoin d’externaliser, de raconter pour lui, pour les autres, la réalité d’une vie de jeune immigré chinois, du coup il a écrit un «son rap» mais il ne se considère pas comme un rappeur, le rap n’est que l’outil qu’il a trouvé le plus approprié pour faire passer son message. Ce «son» s’appelle très justement «le rap du clan des sans destin». J’ai cherché sur la toile pour mettre un lien mais impossible de trouver, alors pour l’écouter et mieux comprendre son histoire, le mieux est de récupérer l’émission «les pieds sur la Terre» sur le site Internet de France Culture où il avait été interviewé. En attendant, voici les paroles de sa chanson…

Le Rap du Clan des Sans Destin

«Je ne rêve plus de Paris, depuis que j’y suis, depuis que j’y vis, depuis que j’en ai payé le prix, que j’en ai passé les tests, Paris j’y suis, Paris j’y reste, peut être pour honorer les rêves de mes grands-parents, peut être pour aider mes cousins qui se lèvent à 5 h du matin, parce que c’est comme ça que ça se passe pour ceux du clan des sans destins / Quitter Papy, quitter Mamie et le village ou j’ai grandit, rejoindre mes parents à Paris, c’était quitter le paradis et venir habiter en France, c’était découvrir la souffrance, ne venez pas me parlez de chance, écouter bien ce que je dis, venu pour aider ma famille qui survivait dans la couture, et avait besoin de mes mains pour l’élégance des parisiens, je faisais mes devoirs après, la nuit tombée montait la lune, on avait tant besoin de tune, et je venais d’avoir 13 ans / Les gens comme mes parents sont arrivés ici après un long voyage, ils ont traversé la planète sans profiter du paysage, ce n’était pas un vol direct, beaucoup plus lent, brut et sauvage, c’était le voyage clandestin de ceux du clan des sans destin, ils en ont franchi des montagnes, des rivières et des platanes, à pied, en bus, en stop, ils en ont franchi des frontières pour atteindre l’Europe, par la Russie ou le Kazakhstan, ou par la Turquie ou les Balkans, ils sont pas si simple qu’on pense, les chemins de ceux comme mes parents, qui sont arrivés jusqu’en France»

Georges, 28 ans, Dandy moderne @ Bar le Bodega Bay

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Sans vouloir l’enfermer dans une case mais tout en cherchant à le recontextualiser de la manière la plus juste, Georges est probablement ce que l’on pourrait qualifier de dandy du 21ème siècle dans son sens le plus péjoratif comme valorisant – tout dépend de l’angle de vue. Il évolue dans un milieu où tout le monde ne peut pas avoir ses entrées, celui de la vie parisienne d’une certaine «élite». Une appartenance à ce groupe, dont il faut maîtriser les codes, qui s’obtient de naissance ou par apprentissage. Pour Georges, il s’agit du deuxième type ce qui lui permet peut être de s’en distancier plus aisément par moment. Leur devise : être au bon endroit avec les bonnes personnes. Un petit jeu teinté d’obligation auquel il se prête volontiers. Dans sa vie tout est pensé, réfléchi, maîtrisé et pourtant elle s’apparente à une certaine forme de chaos. C’est un de ceux qui se posent sans arrêt des questions mais qui n’en trouvent jamais les réponses. Georges est un paradoxe. Il est tout et son contraire : parisien sans être parisien, profond et superficiel, idéaliste et désenchanté, heureux et dépressif, logique et déraisonné… Comment retranscrire cet entretien sans en dénaturer les propos et que le tout tienne sur une page (ou presque) ? J’ai cherché à ordonner, créer des liens, n’en retenir que l’essentiel. Impossible. Tout se mêle, s’entremêle pour finalement ne pas savoir qui il est et ce qu’il pense. Pour éviter toute posture qui ne mènerait qu’à une vision manichéenne du personnage, voici donc quelques extraits plus ou moins bruts.

Pour tenter de le cerner dans un premier temps, ressortez de vos bibliothèques Madame Bovary de Flaubert, son livre préféré «c’est l’histoire qui guide ma vie, celui qui raconte nos vies, je le trouve fabuleux et universel». Madame Bovary, c’est lui, une «salope»… un terme grave utilisé de manière légère qui ne sert au final qu’à s’excuser d’un comportement, Madame Bovary une victime qui se fait bourreau, une irresponsable qui ne sait que trop bien ce qu’elle fait «quand je la traite de salope c’est moi que je traite de salope en fait. Je me reconnais à travers elle, cette forme d’illusion par rapport à la vie, des attentes très grandes, romanesques… Une forme de fantasme, d’idéalisation totale de l’amour et des relations humaines et finalement un désenchantement, une folie. Et au bout de tout ça, il n’y a que l’échec et la mort». Pour lui, une histoire plus que jamais très actuelle «symbole d’une génération en transition qui pense mériter mieux, qui espère mieux et qui prend juste en pleine gueule la triste réalité que la vie est absurde». Une génération bercée de happy end où l’important est de vivre, réussir, s’affranchir, se démarquer, découvrir qui l’on est, s’affirmer pour finalement se rendre compte que nous ne sommes rien, que tout n’est que construction et que dans cette course on détruit l’essence même de ce que nous sommes. L’absurdité de la vie, la frustration, la complexité des relations humaines et leur superficialité… des thèmes récurrents indissociables d’un contexte parisien, de son contexte parisien, de son microcosme quasi exclusivement «maraisien» dont il ne s’éloigne que pour mieux se rassurer et/ou s’inquiéter sur lui-même.

«Paris c’est une ville fantastique un terrain de jeu pas croyable avec une population qui n’est pas forcément à la hauteur. (…) On est dans un lieu magnifique que ce soit l’architecture, les lieux, les atmosphères différentes en fonction des quartiers. Je trouve ça bien mais malheureusement on est une population un petit peu fermée, il y a une grande part d’élitisme, c’est une ville bourgeoise clairement. (…) En termes de relation c’est assez compliqué, on se fait peu d’amis, on se fait surtout des connaissances, on papillonne tout est éphémère on est dans une forme de consommation permanente, c’est agréable mais il ne faut pas qu’il n’y ait que ça et le jour où il n’y a que ça, ça donne envie de vomir d’une certaine façon. (…) Je ne l’évite pas je suis un pur produit de la société. Je disais à un ami qu’on était la pire race existante : on est plus intelligent que la moyenne, on est plus beau que la moyenne, on est plus cultivé que la moyenne et il n’y a rien de pire parce qu’on pense qu’on est les maîtres du monde, on manque d’humilité. A Paris, l’important c’est d’être stylé, on s’en fout que tu sois pauvre, riche, gros, le style pardonne tous les kg en trop, la bêtise. C’est navrant mais c’est réconfortant pour beaucoup d’entre nous. (…) Là où je me déteste un peu c’est que j’aime ce dans quoi j’évolue j’y prends un certain plaisir je me dis ‘tu pourrais être un mec ultra clean et pourtant tu aimes ça’ j’aime la futilité, le superficiel, j’aime papillonner, j’en ai besoin. (…) Je pense qu’il faut un noyau dur d’amis profonds, de gens qu’on aime, de gens qui nous aiment et c’est ça qui permet de ne pas péter un câble face à la superficialité de nos vies». 

Parmi ce noyau dur, il y a Carol, son ami de toujours avec qui il a créé sa propre marque de vêtement pour homme qui s’apparente plus à un concept philosophique qu’à une logique mercantile. En fait, il y a trois ans maintenant, tout juste diplômé et revenant de six mois à Buenos Aires «les six mois les plus beaux de ma vie», Georges s’est retrouvé perdu face à l’obligation pressente de se responsabiliser après une parenthèse idyllique sans trop savoir quoi faire ni où aller. L’envie de s’associer à son vieil ami s’est imposée d’elle-même et leur entreprise est née «c’était une évidence qu’on devait faire quelque chose ensemble, c’est quelqu’un que je trouve brillant, il est très différent de moi mais c’est mon double. Dès qu’il y a une situation où on est ensemble, on sait ce que l’autre pense. C’est ma plus grande histoire d’amour. Il sait la vérité sur moi. On a tous un personnage, on joue tous les jours un personnage, et lui il sait vraiment ce que je pense, ce que je ressens, mes doutes, mes tristesses, je lui dis tout». Un élément stable en qui il a une entière confiance et qui lui permet d’accepter les difficultés car être jeune entrepreneur c’est un choix, un risque mais aussi des sacrifices sur du long terme «tu sais que ça va être dur, tu sais que ça va faire mal mais quand tu y es c’est vingt fois plus dur que ce que tu avais imaginé et c’est même mieux ainsi car si tu avais su tu ne l’aurais peut être jamais fait». Un de ces sacrifices justement c’est le fait de ne pas pouvoir prendre son indépendance et de devoir faire des allers-retours entre le 91 et Paris «tout ce que la société gagne c’est réinvesti dans la boite et payer un loyer je ne suis pas en mesure de le supporter. J’ai 28 ans, c’est pas cool d’habiter chez sa mère, ce n’est pas ultra vendeur socialement. Tous mes potes qui ont leur appart, qui ont leur copine, c’est cool, ça donne envie mais après il y a des choses à faire. Moi, ma priorité c’est la boite, que les choses progressent et tout ça, ça viendra en temps et en heure».

Georges, c’est le stéréotype même du vrai-faux ou faux-vrai parisien, un pied dedans, un pied dehors. Il utilise de lui-même un «on» qui l’englobe dans la masse des parisiens, où plutôt de cette société parisienne qu’il côtoie mais refuse de s’y apparenter «vraiment». En tout cas, ce qui est sûr c’est qu’il en a le style, la parole, les codes. Pour les autres (parisiens) aucun doute, il est des leurs «j’ai pleins d’amis – et je parle bien d’amis – à qui j’ai dit où j’habitais mais quand je leur dis ‘je dois rentrer chez moi’, ils oublient où j’habite. Ça les intéresse tellement peu quand on parle de banlieue qu’on peut dire n’importe quoi, ils oublient. C’est horrible car ils ne le font même exprès. A chaque fois ils me disent ‘non je te crois pas’ et tous les six mois on a la même conversation. (…) J’ai un ami, il me dit ‘écoute Georges c’est comme pour la confection d’un vêtement le made in France, c’est à partir d’un certain pourcentage des éléments du vêtement qui est confectionné en France. Certes, tu ne dors pas à Paris tout le temps mais tu vis à Paris et du coup il y a un certain pourcentage de toi qui est à Paris et donc tu es parisien’ et ça me fait chier quand il dit ça. Peut-être parce que maladroitement c’est ma façon d’avoir l’impression de ne pas être perdu dans cette vie parisienne. Parce que je n’habite pas Paris, ça me permet de prendre de la distance. Quand je suis dans le 91, quand je rentre chez moi, on coupe le son, je retrouve une tranquillité, ça m’apporte quelque chose. Ça me permet de prendre du recul par rapport à ce parisianisme». 

De ces allers-retours entre son chez-lui et Paris (qui est aussi d’une certaine manière un chez-lui), il y trouve probablement le même réconfort que celui de s’éloigner du Marais pour finalement atterrir dans le 11ème (enfin dans un périmètre tout de même restreint qui n’est autre que le bar «la Bodega Bay» et quelques rues alentours…) «le marais c’est Disneyland, je trouve ça épuisant. Il n’y a que des gens qui n’ont pas de personnalité et qui tentent de s’en inventer une, des bandes de connards attablés à «la Perle» alors qu’il n’y a rien là-bas. Le 11ème, j’aime vraiment. C’est un petit peu plus la vraie vie, c’est plus populaire mais faussement populaire parce que de toute façon tout est faux à Paris. C’est plus simple, moins … ça me ressemble peut être plus, c’est plus cool, plus détendu et légèrement en dehors du micro centre. D’un côté tu peux accéder au micro centre en un pas mais tu es quand même à côté. Ce n’est peut-être aussi qu’une tentative pitoyable de ne pas accepter qui je suis et ce que j’aime vraiment… Ça permet de te dédouaner ‘bah non je suis pas complètement maraisien’». Son dernier grand retour à la «réalité», c’était lors d’une semaine de vacances à faire du surf sur l’Île d’Oléron «j’étais avec des roots pendant une semaine, j’étais en tong avec mon short, mes cheveux sales et j’étais heureux. Les mecs, le dernier jour, ils sont tous venus me voir pour me dire au revoir. Ils m’aimaient et pourtant j’avais les cheveux sales, j’étais en short, en tong, je trouvais ça fabuleux, fantastique… une forme de simplicité et une partie de moi a adoré ça. Cette partie, elle veut juste dire ‘ne m’oublie pas, ne te laisse pas happer par des futilités, par l’argent».

Plus q’une simple expérience, cette semaine de surf c’était pour lui un symbole de ce que sa vie pourrait être sans Paris «quand je suis parti de l’Île je me suis demandé : ‘est-ce-que je surferai encore un jour?’ Je me sentais aspiré par Paris. (…) D’un côté c’est accessible mais en même temps on a des priorités dans la vie et on peut facilement passer à côté de choses qu’on aime bien, qui procurent une forme de liberté pour se focaliser sur des choses plus stupides. (…) Je ne veux surtout pas devenir un vieux bobo qui prend un brunch dans le marais à 35 ans avec sa femme jolie mais insupportable, ses enfants beaux mais insupportables, ses amis bobo beaux mais insupportables». Une fin inéluctable ? N’oublions pas Georges que Madame Bovary est une rêveuse qui n’a à aucun moment pris sa vie en main – sauf pour se donner la mort – mais s’est laissée porter par les évènements et les rencontres, suivant et agissant sans jamais réfléchir, s’investissant financièrement et moralement pour des chimères qui n’en valaient pas le coup, attendant des autres ce qu’elle était incapable de s’octroyer : la sensation de vivre. Ce ne sont pas ses illusions qui l’ont tué  – elle n’en avait plus – mais de devoir faire face aux conséquences de ses actes et la honte d’être devenue ce qu’elle est.

Angela, 26 ans, en pause pique-nique @ Tour Eiffel

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Pour la petite histoire, je voulais interviewer un ou une parisienne près de la tour Eiffel pour pouvoir prouver par A+B qu’il n’y a pas que des touristes qui s’y promènent. Petit tour d’horizon, une fois éliminé les couples qui s’embrassent en se roulant dans l’herbe et les personnes en anorak jaune transparent avec écrit «touristes» sur leurs visages, je repère enfin une jeune fille seule en train d’installer sa couverture au sol, de sortir son pique-nique et preuve ultime avec un sac Gibert Joseph. Je ne pouvais pas me tromper, normalement… Je m’approche, je lui parle, elle me regarde avec de grands yeux et me répond avec un accent «Pardonnez-moi, pouvez-vous répéter s’il-vous plaît?». Aïe. Pour la démonstration «il y aussi des parisiens près de la tour Eiffel» il faudra revenir. J’explique à nouveau la démarche, on discute, elle est adorable et son français est excellent. Et bien tant pis et finalement tant mieux car Angela avait beaucoup de choses à dire, ça lui faisait plaisir de pouvoir discuter avec une «parisienne» et c’est toujours intéressant d’avoir la vision d’une personne de passage dans cette ville qu’est Paris.

Donc voilà, Angela est Brésilienne, elle était en vacances à Paris pendant une vingtaine de jours avec deux amis. Au moment où je l’ai rencontré, c’était son dernier jour avant le grand retour à Rio et une des dernières images qu’elle souhaitait garder de Paris, c’était la tour Eiffel. Elle y était déjà venue à deux reprises : une fois de nuit pour voir les illuminations, une fois en journée pour y grimper, c’était un jour de grande chaleur et image surprenante, des personnes se baignaient dans les fontaines près du Trocadéro. Il faisait chaud, il y avait de la vie, c’était beau, un magnifique souvenir en somme. Mais attention, ce n’est pas parce qu’Angela se trouve au pied de la tour Eiffel (même à trois reprises…) que c’est une touriste «traditionnelle». Pour elle, il y a deux types de touristes «ceux qui viennent voir les principales ‘attractions’ de la ville et ceux qui viennent pour connaître Paris». Elle fait partie du deuxième type. D’ailleurs, pour leur séjour, avec ses amis, ils ont préféré vivre à la française, ce qu’ils voulaient c’était vraiment s’intégrer à la population locale, du coup, ils ont (sous?)-loué un appartement dans le 10ème arrondissement à deux pas de Château d’Eau.

Autant dire qu’elle a été surprise entre les prostituées de la rue St-Denis et les différents groupes ethniques qui se côtoient mais ne se mélangent pas. Loin d’avoir un jugement négatif sur ce quartier très populaire, bien au contraire, ce qui a marqué Angela, c’est le fait qu’il y ait une vraie diversité mais aussi division ethnique qui se voit et se ressent «il y a beaucoup de mixité… Il y a des Africains, des Chinois, aussi beaucoup d’Indiens mais tout est divisé ici, par exemple à Château d’Eau, il y a beaucoup d’Africains mais ailleurs il n’y en a pas. Au Brésil, c’est très différent, j’ai l’impression que les gens se mélangent plus». L’autre grande division qu’elle a ressenti c’est celle touristes/parisiens. Son désir, c’était vraiment d’en rencontrer, de parler avec eux, d’échanger sur les différences culturelles, sortir des préjugés – comme par exemple celui qui dit que les français sont sales (il est tenace celui-là…) «je suis professeur donc je suis obligée d’avoir une vision plus large du monde» – mais voilà elle s’est retrouvée face à un mur «les rencontres sont difficiles avec les parisiens, on a essayé mais ça n’a pas pris. Ils sont distants, sérieux. Ils regardent pour savoir si la personne est bien ou non, ils jugent avant de connaître, c’est très dur d’avoir une conversation avec eux».

Cela restera le point négatif du séjour certainement – en plus des bars et restaurants qui ferment trop tôt et ne servent plus après une certaine heure «il y a vraiment une priorité aux horaires ici, je voulais aller dans des restaurants et finalement à chaque fois c’était trop tard ‘ah non, non mademoiselle, il est dix heures, on ferme’, du coup j’ai plus mangé McDonald que français». Des petites déceptions donc mais à côté de ça, elle a aimé profiter de la diversité culturelle, les musées et surtout les parcs (Monceau, Luxembourg, jardin des plantes, champs de Mars…) et de la vie qui y règne «ici toute l’année il n’y a pas de soleil, alors dès qu’il y a un beau jour les gens en profitent. Au Brésil, il y a tout le temps du soleil donc finalement on en profite moins et puis il n’y a que la plage. Alors qu’ici les gens vont dans les jardins, ils font du vélo, ils se promènent avec leurs enfants». Angela a une vraie affection pour la France qui a commencé bien avant de venir ici. Au Brésil, elle apprend le français depuis un moment et s’intéresse à la culture française, elle va notamment à tous les festivals autour du cinéma français, son intérêt s’étend aussi au système éducatif, politique, social qu’elle admire «la qualité de vie ici est meilleure : l’école, les transports, la santé… les choses basiques de la vie tout est mieux ici».

Ce voyage, c’était donc surtout pour découvrir le pays, aller au bout de sa curiosité intellectuelle. C’est pour ça qu’elle avait choisi uniquement la France en Europe et une durée de séjour importante. Mais voilà, il semble que cette curiosité ne soit pas assouvie, avec une de ses amies, elles ont décidé pendant leur séjour de revenir d’ici un an ou deux et de rester cette fois six mois à Paris ou en France – peu importe au final – mais aussi de voyager un peu plus, de partir à la découverte des pays frontaliers «je veux juste apprendre, ne pas me limiter dans la pensée. Connaître la façon de vivre européenne». S’ouvrir à de nouveaux horizons mais en aucun cas dans l’idée de s’installer, elle aime trop son pays pour ça «seulement pour étudier, j’aime mon pays, vraiment. Ce que je veux, c’est apprendre la langue, voir des choses, voyager mais pour vivre non». Et bien Angela, à très bientôt alors pour une nouvelle conversation sur nos cultures respectives !

Rebeca et Guilherme, 21 ans, petit couple d’amoureux @ Le pont des Arts

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«Les amoureux qui s’bécott’nt sur le Pont des Arts / Pont des arts, Pont des arts / En s’fouttant pas mal du regard oblique / Des passants honnêtes / Les amoureux qui s’bécott’nt sur le Pont des Arts / Pont des arts, Pont des arts / En s’disant des « Je t’aime » pathétiques / Ont des p’tite’s gueul’ bien sympathiques»

Ah un peu de soleil dans cette grisaille ! Quoi de mieux que le Pont des Arts pour voir la vie en rose ? Sa vue imprenable sur Paris, ses pique-niques improvisés et surtout ses amoureux et leurs cadenas… Parmis eux Rebeca et Guilherme, originaires de São Paulo au Brésil et de passage dans la capitale pour quelques jours, terriblement amoureux l’un de l’autre depuis 4 ans, enfin 3 ans et quelques plus exactement… Le pauvre Guilherme a ramé avant que leur histoire ne démarre vraiment «j’étais amoureux d’elle, mais elle, non pas vraiment!». L’histoire, c’est qu’il lui courait après depuis un moment et un jour ils se sont croisés dans un bar, elle avait un peu bu et dans l’euphorie du moment ils sortis ensemble, ça a duré 6 mois «mais après on a cassé» me dit-elle… ce sur quoi Guilherme s’empresse de rectifier sur un ton mi-accusateur mi-ironique «ELLE a cassé avec moi». Finalement deux mois plus tard, ils se retrouvent à une soirée et lui l’ignore ce qui a eu son petit effet «il ne m’a pas parlé de la soirée car il était en colère après moi. Quand on est parti, il m’a envoyé un texto. On s’est dit qu’on avait besoin d’en parler, il n’habitait pas très loin de chez moi. Il m’a demandé quelque chose dans le genre ‘est-ce-que tu m’aimes oui ou non ?’ j’ai dit ‘oui’, un petit oui…  Ce n’était pas facile pour moi de parler de ce genre de chose. Il était deux heures du mat, il m’a dit ‘ok j’arrive’. Il est arrivé et on s‘est embrassé en bas de l’immeuble et maintenant ça fait 3 ans qu’on est ensemble». Du coup, remise des compteurs à zéro pour que chacun y trouve son compte «je pense que la première fois où on est sorti ensemble ça ne compte pas vraiment, je l’aimais bien mais elle beaucoup moins, on a commencé à compter quand c’était vraiment les deux».

Avec eux, «love is all around», quand je leur demande quel est le premier mot qui leur vient à l’esprit en pensant à «Paris», c’est directement «l’amour» qu’ils me répondent. Pour une fois (même si une fois n’est pas coutume…) Paris tient ses promesses, sa réputation de ville de l’amour à condition peut être d’être aussi avec la bonne personne… «la ville est tellement belle, je suis heureuse d’être ici avec lui, et on nous avait dit que d’autres villes seraient plus romantiques comme Rome ou Venise mais ici pour moi c’est plus romantique, c’est exactement l’image que j’avais de la ville». Ce qu’ils aiment ce sont les bistros que l’on retrouve à chaque coin de rue et plus étonnant (enfin peut-être…) une certaine qualité de vie «c’est fou ici, on peut aller dans un parc et voir des gens allongés sur l’herbe, à Sao Paulo même s’il y a un parc les gens n’y vont pas, on ne voit pas des gens juste profiter, s’asseoir, vivre… Là-bas, les gens vont au resto, mangent, retournent au travail, rentrent chez eux et voilà, alors qu’ici les rues sont bondées, les cafés et les restaurants sont toujours pleins, les gens vivent vraiment». Le meilleur souvenir qu’ils garderont de Paris c’est la tour Eiffel «on est arrivé, il faisait encore jour, c’était juste avant le coucher de soleil, on est resté un moment au deuxième étage mais on a attendu qu’il fasse complètement noir pour aller tout en haut, c’était si calme, si beau». Un voyage idyllique du début jusqu’à la fin où même les parisiens sont sympathiques et même ceux dans les restaurants (oui, oui, ça leur arrive)! «tout le monde nous avait dit que les parisiens n’étaient pas sympas et j’ai même un ami parisien qui m’avait dit ‘oh attention car les parisiens peuvent être désagréables parfois‘ mais finalement tout les gens que nous avons rencontré ont été gentils avec nous et nous ont aidés, c’était vraiment une bonne surprise».   

Au final, ils n’ont pas scellé que leur amour l’un envers l’autre avec leur cadenas sur ce Pont des Arts mais aussi leur amour pour Paris. C’est sans aucun doute qu’ils y reviendront pour quelques jours et peut-être même s’y installer… «j’aimerais vraiment vivre ici. Avant de venir, je pensais à New York, je n’avais que New York en tête mais maintenant que je suis là je me dis ‘je veux vivre à Paris’».

Paella, 50 ans, artiste-peintre @ Le Frigo

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Paella… un pseudonyme finalement raccourci dont l’origine était anagramme de sa vraie identité et qui fait référence avec humour à ses propres origines espagnoles. Le tout étant à l’image de son oeuvre. Vous n’avez rien compris et pourtant vous avez tout compris. C’est bien là où Paella veut nous  emmener dans ses dires, dans son oeuvre, dans son nom : partout et nulle part à la fois. C’est un artiste qui a les pieds sur terre et dont la cohérence se comprend dans un ensemble. Le coeur de son travail s’articule aujourd’hui principalement (mais pas que) autour d’un personnage qui a une tête en forme de spirale «sans vraiment d’identité» que Paella associe à un texte «il y a une forme de décalage qui rend l’interprétation équivoque. À la fois l’image est un peu énigmatique et le texte, par le biais du double sens, de l’humour, des références, des proverbes, est un peu complexe et alambiqué du coup on n’est pas sûr de savoir exactement ce que l’on interprète ; et l’association des deux qui est aussi en décalage multiplie les chemins possibles de l’interprétation». Ça c’est dit et parce que c’est plus simple en image… ;-)

 

Pour le rencontrer : trouver la seule porte qui soit ouverte dans ce dédale de couloirs et d’étages. Lieu intriguant voire flippant par endroits, c’est avec grand plaisir qu’on s’y perd et qu’on observe les différents graffitis qui en décorent les murs. Grosso modo, le Frigo «ça ressemble à un squat, ça a le goût d’un squat mais ça n’en est pas un». À la fois privé et public, ouvert à tous et portes closes en même temps, on ne sait pas trop si on a le droit de s’y aventurer. Paella y est arrivé en 85, au début de sa carrière d’artiste «on ne va pas dire que ça fait un bail parce qu’on n’a pas de baux mais effectivement ça fait un moment que je suis là». En fait, depuis les débuts du lieu en tant que bâtiment artistique, seul les grosses portes frigorifiques et tuyaux qui serpentent témoignent du passé. Avec d’autres artistes, ils ont investi un espace de 300 mètres carrés (et de l’argent) et fait en sorte que le bâtiment ne tombe pas en décrépitude. Depuis, même si leur statut reste très précaire, il y a une espèce de «flou légal» pour le moment qui leur permet de rester. Et puis, la mairie de Paris (propriétaire du lieu) a d’autres chats à fouetter entre le 104 et le squat rue de Rivoli.

Paella est arrivé au bon moment dans ce lieu car travailler en plein Paris – même si à l’époque il n’y avait quasiment rien à part ce grand bâtiment, aujourd’hui c’est un quartier en pleine effervescence qui apporte son lot de nouvelles constructions tous les mois «ce n’est pas terrible ce qu’ils ont fait mais finalement il y a une vie qui s’installe» – est une chance que les jeunes artistes d’aujourd’hui ne pourraient pas avoir, obligés d’aller toujours plus loin pour trouver des lieux aux loyers raisonnables. Une conséquence à la fois regrettable mais immuable à l’évolution d’une ville «le problème, c’est que l’intérieur de paris soit de plus en plus cher donc porté vers une sorte de muséification de la ville où finalement le côté vivant du travail des activités artisanales est amené à disparaitre dans Paris intramuros, mais est-ce que ce n’est pas le lot de toutes les villes ? Au XVIème siècle, on pouvait bien traverser Paris en 15 minutes. Finalement tout évolue et il faut accepter cette évolution». Voilà. Toujours est-il que c’est bien pratique aujourd’hui pour Paella de pouvoir se rendre facilement en vélo de son «petit» appartement / studio du 5ème jusqu’au Frigo en passant par le quartier autour du marché d’Aligre le matin, un «quartier un peu populaire encore, tout en étant en train de changer de se ‘boboïser’ comme on dit actuellement».

Pour lui Paris c’est la «confusion». L’explication plus ou moins confuse, et ma foi, diffuse la voici : «Il y a de tout qui est proposé et à partir de là on est obligé de faire des choix. Il y a de multiples possibles qui font qu’on peut s’y perdre si on n’a pas soi même déjà une direction. On ne peut pas tout faire et après on prend des habitudes et ces habitudes font partie de ces choix. Il y a aussi une façon de considérer que tout est culture. Comme certains dirons que la gastronomie mélange, il y a un mélange ici qui me semble plutôt être de la confusion entre le plaisir et la culture. Après c’est en fonction de l’apprentissage de chacun à concilier la vie qui fait qu’on peut bien s’en sortir dans une ville comme Paris. Il y a beaucoup de gens qui ne savent pas quoi faire à partir du moment où il y a autant de chose à faire, alors qu’il ne suffit de pas grand chose, juste se promener par exemple. Et justement quand il y en a autant, il y a une tétanie ou bien les gens vont là où tout le monde va pour être sûr de ne pas rater ce que tout le monde connait. Ceux qui vont visiter la ville en trois jours vont voir ce que tout le monde va voir forcément, mais après il y a de multiples façons de rencontrer la ville».

Son personnage, c’est lui : un être simple et facile d’approche au premier abord qui se révèle bien plus complexe dès que l’on rentre dans le vif du sujet, multipliant les niveaux de lecture mais qui est, d’une manière ou d’une autre, toujours juste.

Daniel, 52 ans, brocanteur @ vide grenier près de Nation

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Voici Daniel, «52 ans au compteur» comme il me dit. Un peu farceur, un peu dragueur, ça a été difficile d’obtenir des réponses concrètes à mes questions… Entre les «je vous invite à boire un café», «une bonne journée c’est de vous avoir rencontré» et «si je gagne au loto je vous invite aux Bahamas», revenir à une conversation plus conventionnelle n’a pas toujours été chose aisée… D’autant plus que les collègues du jour, intrigués par le dictaphone et l’appareil photo étaient décidés à ne pas le laisser répondre seul. Heureusement pour moi, ce jour-là, il n’y avait pas foule à ce vide-grenier, à cause d’une probable manifestation dans les rues qui avait annulé toute autre forme de manifestations, j’ai donc pu prendre un peu plus de temps que prévu et en savoir tant bien que mal un peu plus sur ce loustic.

La discussion démarre sur la désertification du lieu. Normalement les vide-greniers du 11ème sont assez animés, beaucoup de passage, beaucoup d’exposants, beaucoup d’objets à chiner, mais là du côté de Nation sur l’avenue Philippe Auguste, qui n’est pas vraiment l’endroit le plus sympathique de Paris – trop grande avenue, des immeubles froids sans grand intérêt – l’ambiance qui y régnait était vraiment bizarre et ne donnait pas envie plus que ça de s’y attarder. Pour d’autres brocantes, Daniel me conseille plutôt «les quartiers populaires du côté d’Oberkampf, boulevard Richard Lenoir». Il me montre la bible des brocanteurs et amateurs de vide-greniers, le magazine Aladin qui recense toutes les dates des évènements. Et justement, il y en aura une la semaine suivante à Oberkampf. Le rendez vous est pris. Nous verrons bien si nous nous re-croiserons, ce qui me donne une belle échappatoire pour le café ce jour-là…

Daniel est donc un brocanteur du dimanche ni vraiment professionnel ni vraiment amateur. Il y a un peu plus de dix ans, avant de commencer les brocantes, il travaillait dans la photogravure, ce passage de sa vie a duré plus de 20 ans, il a arrêté au moment du passage du métier à l’informatique, ça ne lui plaisait plus. Son temps, il le partage aujourd’hui à faire les débarras ou encombrants la semaine dans les quatre coins de l’IDF «c’est comme faire les poubelles, les gens jettent à un jour précis dans une ville précise ce qu’ils ne veulent plus sur le trottoir et nous on passe avec la camionnette et on ramasse». Ensuite, il revend ce qu’il y trouve le week-end dans les vide-greniers. Son stand reflète un peu d’ailleurs ce chaos aléatoire des poubelles, c’est un peu «tout et n’importe quoi», il y a des bouquins, des câbles, une table, une photo de Pétain, des jouets,… Mais ça reste dans tous les cas des objets qui ont eu une vie, que d’autres ont touché, peu importe que ça vienne de la rue, un objet reste un objet avec son histoire qu’il transporte, lui c’est «vraiment les objets, leurs vies, ce qu’ils ont traversé» qui l’intéresse.

C’est une activité qui finalement ne lui prend pas tant de temps que ça, ce qui est loin de lui déplaire. Gagner de l’argent, c’est bien mais pas à n’importe quel prix. La qualité de vie avant tout «si je veux prendre un mois de vacances, je peux». Et de toute façon, c’est devenu quasiment impossible de faire son beurre dans ce métier là à l’heure actuelle. Trop de brocantes et vide-greniers et les gens connaissent trop bien la valeur des choses pour les jeter, les sous-vendre et/ou les acheter trop cher. Du coup, les bonnes affaires dans ce milieu, c’est de plus en plus rare. C’est une passion et il veut que ça reste ainsi. Là où il se faisait vraiment plaisir, c’est quand il allait aux puces de la Porte de Vanves. Il y a toujours du passage, on fait des rencontres, on discute, et c’est ça qui lui plaît plus que le fait de vendre. Et en plus, il y du beau monde dans le lot «des artistes, des personnalités qui passent à la télé, même si on ne les aime pas, quand ils sont sur les brocantes ils sont plus ouverts, ils sont plus sympas».

Cette liberté de travailler à son rythme, il souhaite la conserver autant qu’il peut, surtout à Paris, c’est une manière pour lui de faire un  pied de nez à la ville. Trop de stress, trop de monde partout, dans le métro, dans les rues. Même pour le métro, il s’arrange toujours pour ne pas le prendre aux heures d’affluence. Et puis, c’est comme ça qu’il a toujours vécu. Adolescent, ses parents lui laissaient une grande liberté, ils avaient même loué dans le même immeuble une chambre de bonne pour lui où il avait son indépendance. Il ne revenait chez ses parents que pour les repas et encore quand ça lui plaisait, si une sortie avec des copains était prévue, et bien tant pis, il ne rentrera même pas pour dîner. De Paris, de la vie, il ne veut en prendre que le meilleur. C’est un parisien de naissance qui est né et habite toujours dans le 14ème.  Vivre en banlieue pour lui c’est impossible. Il a bien essayé il y a quelques dizaines d’années de vivre en proche banlieue, il n’a pas tenu six mois «je suis retourné en plein Paris, Paris ça vit, ça bouge tout le temps dans n’importe quel quartier».

Il ne quittera probablement jamais Paris «à mon âge je ne vais pas partir et je ne vois pas ce qui pourrait me décider à partir» enfin – une dernière blague pour la route – «sauf si je rencontre une demoiselle comme vous qui me le demande». Dans ce cas, je n’oserais point vous demander un tel sacrifice et vous resterez à Paris mon cher Daniel.

Marie et Lady, 25 ans et 5 ans, promeneuses @ Cité U

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Contre toute attente, il n’y a pas que des étudiants qui se délassent dans le grand parc de la cité U, il y aussi «les promeneurs de chiens». Que ce soit un rendez vous quotidien ou hebdomadaire, les amateurs de toutous s’y retrouvent et le parc devient par endroit et par moment une aire de jeu pour chiens en quête de sociabilité. Les maîtres discutent et les chiens s’aboient dessus, se reniflent partout-partout-partout pour finir pas se courir les uns après les autres. La seule ombre à ce tableau animalier, ce sont les gardiens qui surveillent que ces fidèles compagnons soient bien tenus en laisse. Normalement on voit la police des toutous arriver de loin avec leurs uniformes mais des fois, ils feintent, ils s’habillent en civils et guettent les maîtres qui ne respecteraient pas le règlement. Marie a la technique, sa chienne est en semi-liberté : la laisse reste bien accrochée au harnais rose (parce que c’est une fille) pendant que Lady fait les cent pas dans un périmètre restreint (parce que même si elle n’hésite pas à aboyer après les gros chiens, s’en approcher réellement c’est une autre histoire), prête à être récupérée de la main de Marie au cas où le gardien approcherait.

Pour les présentations, voici donc Marie, étudiante en troisième année aux beaux-arts et Lady, jolie cocker comme dans la Belle et le Clochard dont elle porte le même nom que l’héroïne de ce dessin animé. Ces deux-là se sont rencontrées sur les quais près de Châtelet il y a cinq maintenant. Un coup de coeur pour Marie sur fond de (petit) caprice. A l’époque, elle habitait encore chez ses parents pas loin du parc Montsouris, elle voulait prendre son indépendance et s’installer dans la chambre de bonne que possède la famille, sauf que sa soeur y était déjà et ne comptait pas en partir. En lot de consolation / rébellion, elle a pris un chien. Heureusement pour elle, Lady a été immédiatement adoptée par ses parents. Aujourd’hui Marie habite dans la chambre de bonne dans le centre de Paris près de St Germain et elle vient rendre visite à sa chienne – et à ses parents par la même occasion ;-) – dès qu’elle le peut. Un chien, ça a besoin d’espace et une jeune fille, d’indépendance, les deux étant malheureusement incompatibles à Paris, il faut choisir. Et puis comme dans bien des cas, le chien est imposé à la base par les enfants et ce sont les parents qui se l’approprient, ce serait hors de question pour eux maintenant de leur enlever «leur» chienne.

Lady lui manque bien sûr mais dès qu’elle se retrouve dans sa chambre de bonne avec vue sur les toits de Paris et le café de Flore à deux pas, elle se sent bien. C’est une parisienne de naissance et dans l’âme qui veut vivre le Paris romantique et typique des photos en noir et blanc. Alors vivre à St Germain ça fait parti du folko. Les mauvaises langues diront que ça n’a plus rien de typique avec tout ces touristes qui arpentent les rues appareil photo d’une main et guide touristique de l’autre, mais ça ne la dérange pas, au contraire. Bon, ce jour-là quand je l’ai rencontré, c’était un peu comme un dimanche, elle me dit qu’elle n’a pas fait d’efforts particuliers pour aller voir ses parents et promener son chien, un jogging faisant amplement l’affaire, mais normalement quand elle sort, elle aime revêtir une tenue plus caractéristique de l’image de la parisienne que se font justement les touristes. Par exemple, quand elle va à Montmartre, c’est petite robe noire et béret obligatoire. Il faut préciser aussi que quelques jours auparavant, elle était «très» blonde. Du coup, elle se fait remarquer des touristes qui n’hésitent pas à la prendre en photo avec ou sans autorisation d’ailleurs, ce qui la flatte plus que ne la dérange.

Vivre en province ? Hors de question pour elle. Y passer quelques jours, sans problème mais pas plus. De toute façon, elle n’a pas le permis et la province sans permis, ça se transforme en prison. A Paris, elle se sent libre, mais plutôt dans le centre (le Marais, St Germain, le quartier Montorgueil) qui regorge de galeries, de musées, de bars et où on peut circuler facilement en journée et le soir sans craindre de se faire agresser. Elle n’a jamais vraiment eu de problèmes – enfin si, une fois, on a volé le portable de son petit copain avec la technique du journal posé sur la table du bar et en plus c’était au café de Flore – mais voilà les quartiers excentrés, c’est par définition pour elle plus dangereux. Une de ces dernières expéditions périlleuses, c’était aux puces de Clignancourt et elle avait 17 ans… Elle s’en veut, elle aimerait être un peu plus téméraire mais voilà de toute façon c’est Paris qu’elle aime et Paris ce n’est pas les quartiers comme Barbès. Son Paris à elle, c’est celui de son enfance en plein coeur de la ville fait de doux souvenirs avec ses grands parents qu’elle retrouvait tous les weekends avec au programme : dessins-animés / télévision bien lovée au chaud dans un canapé le vendredi soir, un tour au Bon Marché le samedi matin pour choisir le petit cadeau qui fait plaisir suivi par une balade en poney au parc du Luxembourg l’après midi. En bref, une enfance choyée dans un décor idyllique.

Maintenant qu’elle est adulte, entre son grand-père disparu qu’elle aimait tant, sa grand-mère malade dont elle s’occupe quotidiennement, les problèmes de couple entre passion et désillusions à gérer, les factures à payer toute seule et les frustrations qui s’ensuivent, le (gros) budget toutou d’un chien constamment malade à emmener chez le véto et le travail alimentaire dans un relais H à côté des études où elle se fait régulièrement prendre de haut par les clients… c’est un peu moins rose. Par nature et par nécessité, Marie est une rêveuse mais comme dans tout rêve où on transforme la réalité pour laisser place à des images, elle de son côté s’attache à des images en espérant qu’elles deviennent réalité. Alors même si son Paris à elle, c’est un Paris rêvé fait de café de Flore, de petite robe noire, d’un béret et d’une jolie chienne sortie tout droit d’un conte de Walt Disney, je n’ai qu’une chose à dire : c’est tant mieux tant qu’elle s’y sent bien ! A chacun sa technique de survie.

Raphaël, 24 ans, boulanger @ rue des Rosiers

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J’étais passée la veille devant cette belle boulangerie de la rue des Rosiers qui n’a pas changé depuis des décennies et qui n’en changera pas non plus pour les suivantes, classée monument historique, tout est d’origine, les miroirs au mercure, la façade bleue, le carrelage sur les murs, les installations en marbre… J’avais envie de savoir qui se cachait derrière la devanture alléchante remplie de pâtisseries toutes plus appétissantes les unes que les autres. Un jeune homme à l’entrée, familier du lieu, me dit de repasser le lendemain pour parler au «petit frère», plus enclin à répondre aux demandes farfelues telle que la mienne. C’est donc ce que j’ai fait et en effet, le petit frère m’a accordé du temps, le maximum qu’il ait pu entre le défilé incessant de touristes, de clients habitués, des locaux qui passent dans la rue et le saluent, des proches qui se servent directement derrière le comptoir en laissant l’argent dans le tiroir-caisse et les interventions du jeune homme de la veille que je retrouve exactement au même endroit. Un joyeux bordel presque sans fin.

Le petit frère, c’est Raphaël qui du haut de ses 24 ans est chef d’entreprise depuis 3 ans, enfin, il partage la tâche avec son frère et son père le temps que la succession se fasse, mais tout de même. Cette boulangerie, du coup, c’est une histoire de père en fils, nous dirons un peu malgré lui à la base «n’étant pas brillant en classe, mon père m’a dit ‘apprend le métier, moi dans 5/6 ans je pars, autant que tu commences ta vie avec un métier en main’, donc j’ai fait des études de boulangerie». Son père y est arrivé il y a plus de 33 ans, et aujourd’hui ce sont les enfants qui mettent, au sens figuré comme au sens propre, «la main à la pâte», quant aux futurs éventuels enfants de Raphaël, il me répond un «pourquoi pas ?» mêlé d’un sourire en coin plein d’espoir et de fierté si tel était le cas.

Le quartier, il ne l’a pas tellement vu évoluer finalement, il l’a un peu toujours connu tel qu’il est aujourd’hui, à savoir rénové. Premièrement, il n’habite pas le quartier mais Créteil et deuxièmement, il n’y vient régulièrement que depuis son implication dans la boulangerie «c’est comme quand un père travaille dans un bureau, son fils ne va pas venir le voir». Et puis, il n’appréciait guère le quartier avant la rénovation m’avoue-t-il en faisant la moue. Concrètement, le quartier pour lui aujourd’hui «c’est chic», ce qui est loin de le déranger d’un point de vue business «ça rapporte du monde», une faune qui n’est d’ailleurs pas la plus à plaindre financièrement de Paris, mais ça reste un «mal pour un bien». L’âme juive, la vraie, se perd «il n’y a plus d’épiceries, que des boutiques de fringues, perso je n’ai pas à me plaindre mais si on gratte, ça a gâché beaucoup de choses au niveau authenticité du quartier».

Pour lui, qui se définit aussi comme parisien, les parisiens, ce sont des «kiffeurs» qui «ne se soucient pas du lendemain, ils vivent la vie à deux millions de pour cent, ce qu’ils gagnent ils s’en foutent, qu’ils gagnent 100 ou 10 000 euros pour eux ça revient au même, c’est du kiff à l’état pur de A à Z». Et justement un de ces meilleurs «kiffs», c’est le jour où il a demandé sa future femme en fiançailles «on a fait le tour de Paris en limousine, c’était magnifique». Son lieu préféré à Paris : les Champs-Elysées « il n’y a pas plus beau au monde». Quand il y va, au programme c’est le trio : «ballade, shopping, Häagen-Dazs». Par contre, il évite soigneusement les quartiers où c’est un peu tendu, ce qui sous-entend insécurité. Je comprends entre les lignes les quartiers où les juifs ne sont pas forcément les bienvenus. Trop de choses se sont passées récemment dans l’actualité pour garder le coeur léger. Il se protège physiquement et moralement aussi, comme le fait de ne pas vouloir parler d’argent, un sujet «tabou» pour lui.

Et voilà «time out». Il a du travail, des clients, de la paperasserie et peut être trouve-t-il qu’il m’en a déjà trop dit…

Janine, 65 ans, promeneuse régulière @ Cimetière du Père Lachaise

Janine est née dans le 13ème arrondissement de Paris «je suis une vraie parisienne» et ça fait plus de 40 ans maintenant qu’elle habite le quartier où elle est arrivée fraîchement mariée avec son mari de l’époque. Le Père Lachaise, elle le connait par coeur et est capable de retrouver quasiment les yeux fermés où se trouvent les tombes des plus «grands». Elle y allait souvent déjà avant sa retraite mais maintenant c’est presque tous les jours, ça lui fait son sport et puis c’est calme, pas de voitures mais des morts qui ne viendront pas l’embêter, des chats qu’elle vient nourrir de temps à autre avec les «dames de la SPA», et des mémés avec qui elle discute qui viennent voir et entretenir la tombe de leur «petit mari» décédé.

Son trésor, c’est son «album photo» des grands enterrements des quatre dernières décennies. Une fois, des amis brocanteurs ont voulu lui acheter, c’était hors de question «celui-là personne ne l’aura!», ce sera son héritage pour son fils. Il faut dire qu’il y a du beau monde morts ou vivants sur ces photos «j’ai photographié tous les grands enterrements, à chaque fois il y avait des gens célèbres, je les prenais aussi en photo, et après tous ces gens là un par un ils sont morts…». Venir à ces enterrements, pour Janine, c’est une façon de leur rendre «un dernier hommage» à ces personnes dont elle a suivi la carrière et qu’elle a aimé. Le plus beau enterrement pour elle c’était celui d’Edith Piaf «il y avait plein de monde». Un autre mémorable, celui d’Henry Salvador «il y a avait un orchestre et on chantait tous des chansons devant sa tombe». A chaque fois qu’elle entend parler d’un enterrement au Père Lachaise d’une célébrité, Janine y est, armée de son petit appareil photo.

C’est une femme un peu autoritaire qui n’hésite pas crier après les enfants qui prennent le cimetière pour une aire de jeu ou bien les «hémomosexuels» qui s’aventurent entre deux tombes pour une partie de jambes en l’air… mais comme elle dit «autant je suis méchante, autant je suis gentille». Si une mamie a besoin d’elle pour faire ses courses ou tout simplement discuter, la «dame à la casquette», répond toujours présente. Il vaut mieux donc filer droit avec elle. Ce côté militaire elle le tient de son père, engagé dans l’armée. Elle a voulu suivre le même chemin mais le destin avait d’autres plans pour elle : un enfant, son «gars» comme elle l’appelle. Du coup, à défaut d’être dans l’armée elle a enchainé les petits boulots jusqu’à sa retraite «j’ai fait tous les métiers du monde, enfin presque, je me comprends». On comprendra donc : tout, sauf le plus vieux métier du monde.

Il faut dire qu’à l’époque c’était facile, si on n’aimait pas son employeur, il suffisait de dire «toi tu me fais chier, je vais ailleurs», on partait et on retrouvait un autre travail le lendemain. Aujourd’hui c’est différent «même les bacs +6 ne trouvent pas de travail». A l’époque, ce n’était pas toujours rose bien sûr mais aujourd’hui c’est une société, un Paris qu’elle n’aime pas vraiment «Paris ça a changé, ce n’est plus comme avant, dans les années 60 c’était mieux, avant on connaissait les voisins, maintenant on dit ‘bonjour’ et personne ne nous répond. Une fois je suis partie voir une petite mémé que j’aimais bien, je rentre dans l’ascenseur, je dit ‘bonjour’ et personne ne m’a répondu, j’ai dit ‘ne répondez pas tous en même temps’, quand je suis sortie j’étais écœurée».

Janine aimerait partir de Paris, avoir une maison à la campagne avec des animaux, loin des «fous» qui discutent tout seul avec leur portable et leur oreillette. Pour le moment, elle ne peut pas, elle son «ami» sur Paris, son «gars» et ses trois petits enfants, ce qui lui suffit amplement. Des amis dans le quartier, elle n’en a plus tant que ça, elle les voit partir les uns après les autres mais bon c’est comme ça, c’est la vie. Tout ce qu’elle veut c’est «garder la santé et vivre correctement, voir mon ami, voir un peu mon fils. Je n’emmerde personne, et voilà quand je vois des amis, je suis contente et c’est tout».

Thierry, 65 ans, Bouquiniste @ à côté du Pont neuf

Thierry est un chat. Un chat car comme eux il n’a pas eu une vie mais plusieurs. Je ne vous parle pas d’évolution professionnelle mais de changements quasi radicaux de carrière. Rapidement donc : Thierry a travaillé à la radio «à l’ORTF», à l’ambassade française à Londres, pour la télévision «à l’époque c’était le moyen âge, c’était en noir et blanc», il a été berger dans le sud où il faisait aussi «des poteries, des choses comme ça», et il a travaillé aux aéroports de Paris dans un job «alimentaire» avant d’être bouquiniste par «passion» depuis 7/8 ans.

C’est son collègue Gilles qui l’a branché sur ce métier «on s’est rencontré ici, j’étais client, Gilles vendait des livres et moi aussi finalement j’avais envie d’en vendre, j’en avais beaucoup d’ailleurs à vendre». Il n’y a pas à dire c’est «mieux qu’avant», même si, m’avoue-t-il de manière un petit peu ironique en se présentant comme un «pauvre bouquiniste» vivant de «privation» – mais vivant tout de même à Montmartre, que la contre partie est de devoir aller chercher les mètres carrés un peu plus loin, à Verneuil-sur-Avre plus exactement, où se trouve sa maison secondaire qu’il vient d’acheter avec sa nouvelle femme. Quand il est là-bas, ce n’est plus un ‘parisien’ mais un ‘verneuillais’ et «ils me croient».

Thierry, à 65 ans, est donc un jeune marié qui n’a pas encore fêté ses noces de cuir. La raison d’un mariage si tardif je l’ai eu au détour d’une conversation sur le bonheur qui me laisse encore pensive «ceux avec qui on entre en rapport ne sont pas toujours d’accord avec l’idée que l’on puisse être heureux comme ça gratuitement, ils font payer ça très cher souvent, c’est ce qui fait que je me suis marié il n’y a que très peu de temps parce que j’ai rencontré une femme qui est capable d’être heureuse, ce qui n’est pas fréquent, vous connaissez les femmes, n’est ce pas ?». Ok, joker. Les femmes ne sachant pas être heureuses ? Non mais quelle idée !

Paris pour lui c’est une ville dont il n’arrive pas à partir «Paris c’est un piège, j’y suis revenu malgré tout. J’essaie d’en partir mais je n’y arrive pas, ce sont les circonstances qui font que. Cette ville je la connais par coeur». Parmi ces circonstances, l’ultime sera sans aucun doute pour rejoindre ‘Notre Père qui êtes aux cieux’, puisqu’il fait parti de ces heureux élus qui ont leur place dans un cimetière parisien entouré d’illustres voisins «j’y serais, j’ai ma place là bas, mon arrière grand père est là bas, non loin de la tombe de Monsieur et Madame Pigeon qui sont les inventeurs de la ‘lampe Pigeon’ ayant éclairé la France pendant des années et aussi non loin de Sartre».

Dans un registre plus actuel, Thierry est un grand collectionneur de tout ou presque, le pire c’est qu’il s’en plaint mais que finalement à la question ‘dans quoi aimeriez vous dépenser plus d’argent?’ il me répond «dans les collections» suivi d’un grand rire communicatif «j’ai plein de collections, ça arrive comme ça, c’est le hasard. J’ai même fait une collection de cailloux, vous vous rendez compte c’est épouvantable ?» hum… pas du tout Thierry… «J’ai arrêté quand même» Ouf ! «J’ai une collection de fétiches africain aussi, j’aime beaucoup ces choses-là ; les bouquins évidemment, j’ai une collection de femmes aussi» Pardon ? «oui, en peinture, en sculpture, en dessin, en marbre, en bois» Re-Ouf ! «j’ai des meubles je ne sais pas quoi en faire non plus, d’où la maison de Verneuil car on avait besoin de place». No comment, on dirait ma mère.

Pour terminer, un petit extrait de son bouquin préféré Le bonheur de Helvétius, philosophe du 18ème, qui est «une longue énumération de tout ce que le bonheur est de ce qu’il n’est pas» sous forme de poème philosophique. Autrement dit, vaste programme.

«Du monde, dis-je alors, j’éviterai l’ivresse ;

Dans le sentier fleuri que m’ouvre la sagesse,

Je veux porter mes pas, résolu d’y chercher

Des plaisirs que le fort ne pourra m’arracher,

Trop doux pour me troubler, vifs assez pour me plaire ;

De passer tour à tour de Parnasse à Cythere,

Et d’être en mon Printemps attentif à cueillir,

Les fruits de la raison et les fleurs du plaisir.»

Manuela, 72 ans, chanteuse chez Louisette @ Marché aux puces de St-Ouen

Bienvenue chez Louisette, bar-restaurant mythique pour sa qualité d’ancien «boui-boui des bas fonds», niché au coeur des puces. Quand on passe devant, on ne peut pas s’empêcher d’y jeter un oeil attiré par des mélodies qui sentent bon le Paris d’autrefois. Bon nombre de personnages célèbres y sont passés : Gainsbourg, Simone Signoret, Sharon Stone,… et même Madonna «elle est belle ! Elle avait une robe magnifique, elle m’a dit ‘Manuela je vous adore, qu’est ce que vous chantez bien!’. Vraiment gentille et puis pas du tout prétentieuse». Si même Madonna n’a pas oublié de laisser un petit mot gentil à Manuela, c’est bien parce que ce petit bout de femme est une institution là-bas !

Décorée il y a deux ans ‘Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres’ par le ministre de la culture et de la communication de l’époque, Frédéric Mitterrand, Manuela chante inlassablement depuis plus de 40 ans le répertoire d’Edith Piaf. Des fois, les touristes de passage la prennent pour Louisette, ça l’énerve un peu mais elle ne montre rien, elle se contente de sourire et ne dit jamais non à une photo «quand c’est plein ici, je suis fusillée de photos, même dans la rue, les gens me disent ‘arrêtez-vous! on veut vous prendre en photo’, ça ne me gêne pas, je le fais. Je garde mon sang froid, je suis toujours agréable avec tout le monde».

Son vrai petit nom c’est Raymonde, comme sa mère, mais «disons que ça ne sonnait pas pour le chant», alors Raymonde est devenue Manuela «c’est rapport à Julio Iglesias quand il chantait ‘Manuela’». Un ‘nom de scène’ qui correspondait mieux à son physique de midinette. Et oui ! Car même si Manuela est aujourd’hui une bien jolie grand mère (et même arrière grand-mère – six fois!), elle a surtout été une magnifique femme «moi ici j’étais la belle petite poupée du quartier, tout le monde me faisait la cour, c’est vrai, je dis ça sans être prétentieuse, avant j’avais de grands cheveux longs qui m’arrivaient jusqu’aux fesses, et puis d’une petite taille avec de grands talons de 12,5 cm, ça m’allait bien!».

Depuis son arrivée à 17 ans à Paris pour devenir chanteuse, Manuela en a accumulé des souvenirs ici et ailleurs… Certes sa carrière s’est principalement faite chez Louisette, mais cela ne l’a pas empêchée de voyager, d’accepter des contrats à l’étranger : sur les bateaux en Egypte, des tournées en Europe, en Chine pour les diamantaires, aux Etats-Unis à Los Angeles pendant un an,… Aujourd’hui retraitée, elle ne se voyait pas arrêter, alors elle continue de chanter chez Louisette, pour entretenir sa voix, pratiquement tous les weekends «sauf quand j’ai des choses à faire, à côté j’ai quand même mon homme, ma maison à m’occuper, j’ai ma chienne, et puis on est invité aussi, on est toujours pris et il faut que je me repose quand même». Une vie aujourd’hui un peu moins glamour, c’est sûr, mais «tranquille» et cela ne lui déplaît pas le moins du monde.

Manuela est originaire d’Indre-et-Loire, née dans une famille (très) nombreuse – 10 enfants mais ils auraient du être 19 !!!! «ma mère s’est marié elle avait 15 ans, vous verriez le livret de famille, on se suit tous». Elle n’a finalement que très peu connu ses parents décédés jeunes (36 ans pour son père et 40 ans pour sa mère) mais garde pour eux une admiration sans bornes. Son père lui a transmis la valeur du travail «il ne faut pas être feignant, toujours travailler même si on ne fait pas d’études, et tous mes enfants travaillent et même les petits enfants. C’est un bonheur car ils ont écouté ce que je leur ai dit : ‘il faut travailler, n’importe quoi mais travailler’». Quant à sa mère, c’est elle qui lui a transmis sa passion pour le chant et son goût pour la coquetterie «maman était plus grande que moi, très brune, très classe, mais vous savez le classe ça ne s’apprend pas. Elle chantait fort bien, elle avait une très belle voix, moi j’avais envie de chanter. Je chantais dans le grenier et j’avais des rêves de petites filles, je voulais être belle comme Lollobrigida».

Voilà, ses rêves de petite fille, de jeune fille, de femme, elle les a finalement atteints à force de travail et de persévérance. La vie ne l’a pas toujours gâtée mais c’est avec fierté qu’elle regarde dans son passé et toujours avec la même force qu’elle aborde chaque jour de sa vie avec optimisme «vous savez moi je peux aussi être triste demain mais je ne le ferais pas voir, c’est une force en soit, il faut se battre, si on se lève le matin et que l’on est positif, on fait une belle journée. Le cerveau c’est un ordinateur, il faut penser le soir à ce qu’on veut faire le lendemain et on le fera, il faut avoir foi en soi et ne pas s’occuper des gens qui sont néfastes».